François Hollande a fait de la bataille pour l’emploi « l’enjeu numéro un du quinquennat », afin de « donner à la jeunesse la place qu’elle attend ». Le dispositif des « contrats d’avenir », qui vise à créer 150.000 emplois, était présenté ce matin en Conseil des ministres. Face à l’accélération de la hausse du chômage, notamment des jeunes, il constitue un remède qui peut paraître indispensable à court terme, mais dont les modalités sont discutées par les experts.
Destinés prioritairement aux jeunes de 16 à 25 ans, en particulier issus des « zones urbaines ou rurales les plus marquées par le chômage », ces contrats seront principalement des temps plein, CDI ou CDD de 3 ans (ou 1 an renouvelable jusqu’à 3 ans). Ils seront essentiellement conclus dans les administrations et associations. Vont-ils permettre une insertion durable ? Recensant les analyses d’experts, L’Atelier de l’emploi présente ici les forces et faiblesses du dispositif.
Urgence vs effets d’aubaine : pourquoi les entreprises sont tenues à l’écart du dispositif
Ces contrats étaient-ils nécessaires ? Sont-ils adaptés à la situation ? A court terme, sans aucun doute. Pierre Boisard, sociologue à l’IDHE (Institutions et dynamiques historiques de l’économie, ENS Cachan), explique pourquoi :
« La situation de la croissance et de l’emploi est très difficile, et il y a peu de perspectives immédiates. Dans ce cas, il y a trois solutions : 1) que l’Etat n’intervienne pas […] ; 2) faire des efforts sur l’innovation, […] mais les effets se feront sentir à plus long terme ; 3) agir à très court terme, et dans ce cas, la seule marge de manœuvre, ce sont les emplois aidés. »
S’ils ont été ouverts au secteur privé, la subvention y sera moindre que pour les employeurs publics – qui verront les contrats financés à 75% par l’État. Ces contrats seront donc avant tout conclus dans le secteur non marchand (administrations et associations). Pourquoi ? Pierre Boisard avance que, sur ce secteur, la conclusion des contrats aura un « effet très rapide sur le chômage ». L’influence sur le secteur marchand est, elle, plus aléatoire : comme l’expliquent les économistes Éric Heyer et Mathieu Plane de l’OFCE (Observatoire français des conjonctures économiques), il s’agit d’éviter les « effets d’aubaine » – on touche une subvention en recourant à ce type de contrat alors que l’embauche était de toutes façons prévue -, qui sont faibles sur le secteur non marchand. En intégrant ces effets, les 150 000 contrats prévus pour 2013-2014 devraient en réalité, selon les calculs de ces économistes, créer 107 300 emplois nouveaux.
Un avenir durable ?
Urgence contre effet durable : selon les analystes, c’est là que le bât de ces contrats blesse. L’année dernière, un rapport de la Cour des comptes critiquait « l’efficacité très décevante des contrats aidés [dans le secteur « non marchand »] pour favoriser l’insertion professionnelle » : huit mois après la fin de leur emploi aidé dans le secteur non marchand, 70 % des jeunes sont au chômage. A l’inverse, « les emplois aidés dans le secteur marchand ont souvent plus d’effets positifs durables », admet Pierre Boisard, qui précise : « quand l’entreprise est contente de son salarié, elle va le garder. Alors que dans le secteur public, cela dépend des budgets.»
Marc Landré souligne le grand absent du dispositif : la formation. Le journaliste du Figaro cite même la CGT, selon laquelle « l’accès à une formation qualifiante est indispensable pour permettre aux jeunes d’accéder à l’emploi pérenne », et rappelle que l’UNSA, en ligne avec la CFDT, demande que les exonérations soient « conditionnées à la mise en place de formations diplômantes et qualifiantes ». Le ministre du Travail n’ignore pas l’importance du sujet, mise en valeur par de nombreuses réactions : « Ce parcours de réussite reposera sur un fort engagement des employeurs (tutorat, formation…), et un accompagnement renforcé assuré principalement par les missions locales. » ; il faudra donc attendre les décrets d’application et le débat parlementaire pour en savoir plus sur les modalités, mais il semble évident que la réalité de la formation et de l’accompagnement des bénéficiaires sera décisive.
Où est la politique de l’emploi ?
Le sénateur PS Gaëtan Gorce, ancien rapporteur du projet de loi sur les « emplois-jeunes » du gouvernement Jospin – dont s’inspire celui sur les emplois d’avenir -, résume bien le sentiment général :
« Il faut éviter les mesures qui visent avant tout à sortir les gens des statistiques du chômage. Ces dispositifs sont utiles à court terme car ils permettent de mettre le pied à l’étrier à des jeunes mais ils s’arrêtent subitement quand il n’y a plus de budget pour les financer. »
La plupart des analystes voient en effet ces contrats comme des « pansements », certainement utiles mais pas à la hauteur des enjeux :
- Dans un éditorial intitulé « Combattre le chômage, c’est maintenant », Le Monde qualifie ces emplois de « rustines » et dresse la liste des priorités : « agir sur les rigidités du marché de l’emploi, sur les pistes qu’offre le chômage partiel (à l’allemande), la « flexicurité » (à la Scandinave) ou la « sécurité sociale professionnelle » prônée par la CGT et la CFDT. »
- Dans Libération, Vincent Giret estime que « le retour d’une version a minima des emplois-jeunes est sans doute utile, mais il manque une grande ambition à ce dispositif étriqué. A la petite politique, les temps mauvais réclament de substituer un renversement des priorités. »
- « Petits emplois d’avenir », c’est le titre de l’éditorial de Favilla, dans Les Echos. Selon lui, cette « sorte de discrimination positive […] va offrir un petit rayon de soleil, pour une durée de trois ans maximum, à environ un jeune en difficulté sur cinq. Il faudrait être bien calé dans son fauteuil capitonné pour juger cet effort négligeable dans la conjoncture actuelle. [Mais] ce n’est pas avec une telle mesure que le gouvernement donnera à croire qu’il tient une politique de reconquête de l’emploi. »