A l’occasion de la publication du récent rapport de l’Institut Montaigne Marché de l’emploi : la grande fracture, l’Atelier de l’Emploi a rencontré l’un de ses co-auteurs, David Thesmar, professeur à HEC et récompensé en 2008 par le Prix de la Fondation ManpowerGroup pour son ouvrage Le grand méchant marché (Flammarion).
Vous consacrez le premier chapitre de votre étude au chômage des peu qualifiés. Pouvez-vous nous en dresser un rapide état des lieux ?
David Thesmar : Le chômage des peu qualifiés est la motivation même de ce travail. C’est un peu une réponse à ceux qui disent qu’en France, le chômage est un problème de jeunes. Et bien pas vraiment. C’est surtout un problème de qualification, chez les jeunes et surtout chez les vieux.
Si l’on regarde au niveau des pays de l’OCDE, le niveau de qualification des jeunes est dans la moyenne. Par contre, pour les 55-65 ans, la France décroche. Il y a beaucoup plus de non-qualifiés que dans les autres pays Européens. Nous sommes à peu près au niveau du Chili. En Allemagne par opposition, les 55-65 ans sont autant qualifiés que les 25-35 ans. Cela change la perspective sur le chômage des non-qualifiés: ce n’est pas tellement l’école actuelle qui fabrique les chômeurs d’aujourd’hui, mais plutôt celle des années 1960 !
Pour les bac +2 et plus, c’est le plein emploi
Pour résumer, on pourrait dire qu’en France, il vaut mieux avoir un diplôme pour éviter le chômage ?
David Thesmar : En gros, pour quelqu’un qui a, disons, un Bac+2 ou mieux, le taux de chômage est de 5%. C’est le plein emploi.
Ceux qui ont juste le Bac ou un diplôme du secondaire (CAP, BEP) sont plus touchés par le chômage (environ 8%) mais c’est encore tolérable. Ce sont ceux qui sont sorti du secondaire sans diplôme qui sont le plus durement frappé, avec un taux de 15%. Et parmi eux, beaucoup de seniors.
Dans l’étude, vous indiquez également que la France a le salaire minimum le plus élevé au monde. Au-delà du salaire, vous tentez d’alerter sur la réalité du coût du travail. Pourquoi ?
David Thesmar : De nombreuses et diverses études montrent que le coût du travail pour les personnes non qualifiées est une véritable barrière à l’emploi. En gros, plus vous êtes dans une profession qui paye au voisinage du SMIC et plus le taux de chômage est élevé (entre 10 à 15%). A l’inverse, si vous êtes à 2 SMICs (environ 2000 euros net par mois), il n’y a plus de chômage (inférieur à 5%).
D’un point de vue théorique, le SMIC chargé exclut du travail les gens dont la productivité est inférieure à ce SMIC, puisque l’embauche cesse d’être rentable pour l’employeur. Or, sur la période 1990-2010, le salaire net moyen a augmenté de 10 % en termes réels, alors que le SMIC a gagné 28 %. Les gouvernements successifs ont bien tenté de baisser les charges, mais cela n’a pas compensé.
Sur la question des charges, nous notons simplement leur énorme importance sur la redistribution, et leur complète absence du débat public sur la fiscalité, qui se concentre bêtement sur l’impôt sur le revenu. Si votre salaire est supérieur à 1,5 SMIC, vous payez en gros l’équivalent de votre salaire net en cotisation sociales (salariales ou patronales, c’est toujours le salarié qui paie). Bien sûr, cela représente des services (vous cotisez aux assurances maladie et familiale, pour la retraite, etc.). Mais cela génère énormément de redistribution cachée, par exemple des couples qui n’ont pas d’enfants à ceux qui en ont, ou des femmes qui ont une carrière hachée vers les hommes qui ont pu accumuler tous leurs trimestres.
Votre métier peut-il être remplacé par un robot ?
Votre étude est titrée Marché du travail : la grande fracture. Au-delà de la question de la qualification, comment définissez-vous la polarisation du marché du travail ?
David Thesmar : Le vrai axe structurant de la polarisation c’est la relation entre l’homme et la machine. La question à se poser est : « ce que vous faites, votre métier, peut-il être remplacé par un robot ? » Certains métiers, qualifiés ou non, ont été remplacés par des machines et on disparu au fur et à mesure des révolutions technologiques (les ouvriers remplacés par des robots, les secrétaires par des traitements de texte, les comptables par des tableurs excel). D’autres métiers qualifiés devront évoluer en déléguant de plus en plus les tâches répétitives à des machines. Je pense aux médecins par exemple, dont le métier est de plus en plus de comprendre un diagnostic généré par des machines et de se concentrer sur l’interaction humaine avec le patient.
Parallèlement, certains métiers bénéficient de l’arrivée des machines (comme les data scientists par exemple), ou en sont totalement protégés (comme les enseignants par exemple). Inversement, certains métiers non qualifiés sont protégés de la concurrence des machines et se développent considérablement: jardinier, garde d’enfant, aide soignant ou (pour combien de temps encore?) chauffeur routier. La technologie n’est pas l’ennemie de l’emploi, mais elle en transforme profondément la nature.
> Retrouvez en ligne l’intégralité du rapport de Sylvain Catherine, Augustin Landier et David Thesmar, Marché de l’emploi : la grande fracture, sur le site de l’Institut Montaigne