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Au-delà des expats : pour des managers locaux sur les marchés émergents

Récemment, le McKinsey Quaterly publiait une tribune de Jeff Jeffrey A. Joerres, dans laquelle le PDG de ManpowerGroup plaidait pour un recrutement de managers locaux sur les marchés émergents et, donc, pour la fin du modèle des « expats ». L’Atelier de l’emploi vous en livre ici la traduction.

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Il y a cinq ans, le film Outsourced a séduit la critique américaine avec son portrait comique de Todd, un manager envoyé de Seattle en Inde pour améliorer les performances du call center de son entreprise, récemment délocalisé. Dans le film, comme dans la série télévisée qu’il a inspirée par la suite, Todd réussit à dépasser un grand nombre d’incompréhensions culturelles -dont celles de se faire maquiller de poudres colorées et asperger par des ballons remplis d’eau par des villageois lors d’un festival religieux- pour réussir à faire progresser de 50% la productivité de son antenne.

A l’inverse, dans les années à venir, ce sont les entreprises qui pensent qu’elles peuvent s’appuyer sur des expatriés tels que Todd pour diriger leurs opérations sur les marchés émergents qui seront la risée de tout le monde. En effet, il est de notoriété publique que les managers expatriés possèdent de piètres capacités d’adaptation aux cultures locales. Surtout, leur présence alimente souvent une croyance parmi les employés locaux selon laquelle leur progression au sein de l’entreprise serait plafonnée.

L’enjeu est de taille : les entreprises issues des marchés émergents, de plus en plus nombreuses et puissantes, deviennent de rudes concurrents de multinationales qui paient d’un prix croissant les déficiences de leur connaissance des spécificités locales. Ce point est d’autant plus crucial que la guerre des talents managériaux s’installe au sein des pays en développement (par exemple, la dernière édition du Talent Survey de ManpowerGroup en Chine montre que la plus grave pénurie de talents dans ce pays se situe au sein du senior management). Ainsi, les entreprises qui seront connues comme s’appuyant sur des leaders locaux sont bien plus susceptibles que les autres d’attirer les talents dont elles ont besoin pour croître.

Un cercle vertueux pourrait se mettre en place : les entreprises seraient plus à même de dénicher des opportunités de business hors des grandes villes, donc d’attirer plus largement les talents -ce qui n’est jamais pratiqué par les multinationales reposant sur le modèle des expatriés.

Le meilleur modèle est celui d’une stratégie de l’ « expat inversé », où l’on confie les manettes de l’activité d’une multinationale occidentale sur un marché émergent à un manager local, qui irait ensuite diriger les opérations de l’entreprise sur un marché plus mûr. L’“expat inversé” passe ainsi un  temps prédéterminé (généralement un mois, ou plus, en fonction de son niveau d’expérience et de la complexité des enjeux business en cause) en immersion dans les opérations déjà bien installées de l’entreprise.

Typiquement, cela nécessite d’impliquer des services majeurs comme la finance, les RH et le marketing, mais aussi différentes business units qui, ensemble, peuvent permettre à l’ « expat inversé » d’appréhender les besoins clients. L’ »expat inversé » suit et effectue des jeux de rôles avec les leaders locaux, observe et intègre les protocoles, process et pratiques ; il échafaude sa propre méthode pour adapter rapidement les pratiques issues des marchés mûrs dans le pays en développement dont il est issu.

Cette approche peut accélérer formidablement le développement d’un vivier de cadres locaux et, en bout de chaîne, rendre l’organisation plus compétitive –et ce de manière durable. Cette pratique, encore marginale, est en train de gagner du terrain :

  • Une entreprise industrielle américaine, créée il y a un siècle, l’a mise en application pour renforcer son équipe dirigeante en Chine ; elle jouit maintenant d’une position sur le marché chinois encore plus profitable que celle issue de son activité principale aux USA.
  • Une multinationale de services a récemment embauché une cadre locale pour diriger son business au Vietnam, et l’a ensuite envoyée suivre les managers en Chine, en Suède et aux Etats-Unis. L’expérience l’a aidée à identifier, puis adapter, un process de reporting du management d’une branche qu’elle a pu utiliser à son retour au Vietnam pour recevoir de meilleurs et plus rapides retours d’information de ses collègues basés sur d’autres marchés. De plus, elle avait acquis beaucoup de confiance en elle dans sa capacité à proposer des solutions complexes à ses clients et prospects –ce qui fut la conséquence directe de son travail auprès de managers plus expérimentés.
  • Même dans les centres de supports basés en Inde, comme dans Outsourced, les expats se font rares : de plus en plus de multinationales recrutent localement leurs cadres, qu’ils envoient en formation dans les unités basées sur des marchés plus développés.

Ces exemples constituent juste la partie émergée de l’iceberg. Toute multinationale qui veut croître sur un marché émergent devrait envisager cette stratégie de l’expat inversé. Trois éléments permettent d’améliorer les possibilités de réussite :

  • Clarifier les attentes et objectifs

Les dirigeants doivent s’assurer que toutes les parties prenantes comprennent le but et le prennent au sérieux. Car la procédure d’immersion ne doit pas chercher à être une sympathique expérience de terrain  ou un acte de “citoyenneté corporate” : il s’agit d’un pas en avant crucial dans la préparation du futur de l’entreprise, dans lequel les marchés émergents pourraient devenir les moteurs de croissance les plus puissants.
Les entreprises doivent dont assigner des objectifs clairs à leur programme de mobilité, notamment un plan d’action que le manager devra mettre en œuvre à son retour sur le marché émergent, des checklists auxquelles les managers occidentaux peuvent avoir recours pour soutenir l’effort ainsi que des objectifs d’amélioration de la performance réalistes et mesurables.

  • Se focaliser sur le coaching

Un environnement d’apprentissage adapté repose sur l’empathie, la collaboration et le dialogue : la transmission de compétences techniques ne suffit pas. Les coaches doivent consacrer de larges plages de temps à la discussion et au feedback bilatéral. Enfin, quand cela est possible, les différents managers des « expats inversés » doivent échanger les uns avec les autres ; leur expérience collective du coaching permettra sans aucun doute d’améliorer la pertinence de l’intervention de chacun.

  • Adapter, et non transposer

Les dirigeants doivent bien souligner auprès des coaches qu’il ne s’agit pas de transposer les pratiques occidentales sur des marchés émergents. Les managers en formation doivent en effet sentir qu’ils disposent de la liberté d’adapter les pratiques et stratégies à leurs marchés émergents, et se sentir soutenus dans cette démarche. Bien évidemment, il faut encadrer ces adaptations de manière à ce qu’elles respectent les fondamentaux économiques du business de l’entreprise ; il revient aux dirigeants d’établir ces lignes directrices à l’avance.

 

Ces suggestions constituent de simples points de départ : chaque entreprise décidant de mettre en place une stratégie d’expats inversés devra façonner la sienne. Elles auraient tout intérêt à commencer dès maintenant, car je crois fermement que nous approchons de la fin du modèle traditionnel des cadres expatriés. En envisageant tout simplement le long terme, il paraît évident que le fait de cultiver un vivier de leaders locaux permettra aux organisations de libérer le potentiel de leurs salariés sur les marchés émergents, d’améliorer leur croissance et de prendre une avance décisive sur leurs concurrents.

 

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