Y a-t-il un « syndrome japonais » à Paris ? À Florence, on connaît le « syndrome de Stendhal », qui frappe le voyageur submergé par un trop-plein d’émotions devant le foisonnement d’œuvres d’art. À Paris, il s’agit plutôt de symptômes dépressifs touchant des touristes nippons intensément déçus à l’arrivée dans la « Ville-lumière ». Anecdotique ? Pas du tout : la qualité des services touristiques fait partie des enjeux majeurs pour l’emploi en Ile-de-France. La région capitale entame 2013 avec l’ambition de monter en gamme pour mieux exploiter son exceptionnelle attractivité. Le sujet sera certainement débattu pendant la campagne qui va s’ouvrir pour les élections municipales de 2014.
A la fin de l’année dernière, l’Organisation Mondiale du Tourisme honorait symboliquement le milliardième touriste dans le monde. En 2030, ils seront près d’1,8 milliard. Alors que le marché du tourisme est aujourd’hui véritablement mondialisé, avec notamment toute une nouvelle classe moyenne venue des pays émergents (Chine, Brésil, Inde…), l’enjeu pour Paris est de se distinguer de ses concurrentes. Si le défi est relevé, ce sont des milliers d’emplois qui seront créés. Un levier incontournable pour une économie francilienne qui, malgré son apparente vigueur, reste friable et n’est pas épargnée par la poussée du chômage.
Paris, ton attractivité incomparable
Représentant 18% de la population française et 20% des emplois du pays, l’Île-de-France contribue à hauteur de 28% au PIB national. La région capitale regroupe des activités à forte valeur ajoutée : plus d’un cadre français sur trois y travaille, tout comme un chercheur sur trois. Son dynamisme dans les activités stratégiques et sa position de carrefour des échanges mondiaux lui confèrent une attractivité incomparable : l’Ile-de-France est la première région de France et la deuxième d’Europe en matière d’accueil des investissements étrangers.
Paris, locomotive de la région, est même de plus en plus attractive : un classement annuel la fait grimper à la 4ème place mondiale des villes leaders du monde économique. Transports, activité économique, système éducatif et rayonnement mondial forment les quatre piliers de cette puissante attractivité internationale. Composante la plus visible de cette attractivité, le tourisme : l’Île-de-France est la première destination touristique mondiale. Pourtant, ce secteur d’activité n’est pas encore efficacement organisé en réseau : un touriste qui visite Disneyland ne passe pas forcément une nuit à Paris, et inversement.
Le tourisme, au cœur de l’emploi francilien
Le tourisme occupe une place centrale dans une région particulièrement tournée vers les services. À l’échelle nationale, 80% des nouveaux emplois créés d’ici 2016 le seront dans les services, l’Île-de-France est à l’avant-garde de cette tendance avec un emploi industriel qui a baissé de 100% en vingt ans – contre 50% en province. Avec les services aux entreprises, le tourisme est aujourd’hui l’activité tertiaire qui contribue le plus aux échanges internationaux de la France.
Si l’emploi salarié a fléchi au troisième trimestre 2012 en Ile-de-France, il est revenu à son niveau d’avant-crise, « ce qui n’est pas le cas en province », précise l’INSEE. Les services sont les premiers moteurs de cette dynamique, avec 13 500 emplois créés sur l’année. Moteur parmi les moteurs, l’hôtellerie et la restauration, avec un rebond de 1,9% et une dynamique de plus long terme de près de 20 000 emplois créés en quatre ans. Les projets de recrutement confirment cette tendance : plus d’un tiers d’entre eux (au-delà de 100 000) concernent la vente, le tourisme et les services.
Paris se reposerait-il sur ses lauriers ?
Le tourisme est une filière hautement stratégique pour la région, qui concentre à elle seule un tiers de la fréquentation hôtelière en France. Plus de 70 000 entreprises le font vivre, dont près de 10 000 créées rien qu’en 2010 !, et plus de 500 000 emplois : ceci représente 9% des entreprises et 9,3% des emplois salariés en Île-de-France. Dans une économie francilienne « encore fébrile » où la reprise se fait modeste, la bonne résistance de l’activité hôtelière (+0,5% du nombre de nuitées), notamment grâce à la fréquentation des touristes étrangers, est bienvenue.
Mais le tourisme est aujourd’hui « un atout mal exploité par la France » : première destination touristique, mais seulement troisième en termes de recettes, notre pays mésestime l’or qui dort « sous [s]es pieds ». En janvier, 41% des professionnels parisiens évaluaient leur activité à la baisse par rapport à l’année précédente ; autre source d’inquiétude, la provenance des touristes : les pays émergents – Chine, Inde et Amérique Latine en tête – sont exclus du top 5, trusté par les traditionnels Britanniques, Allemands, Américains, Italiens et Espagnols. C’est pourquoi la ministre Sylvia Pinel les a érigés en « priorités claires » : puisque ces nouvelles classes moyennes représentent des masses de touristes extrêmement importantes, elle souhaite mettre en place des « contrats de destination » entre le ministère, les collectivités et les professionnels.
L’objectif – concerté avec l’agence de développement économique Atout France créée en 2009 – est double : mieux cibler les attentes des touristes en fonction de leur provenance, et lutter contre l’atomisation, le manque de coordination et le déficit de vision de long terme. Les services touristiques ne sont pas efficacement organisés en réseaux, il n’existe pas de véritable « cluster de tourisme » en Ile-de-France aujourd’hui.
Face à une concurrence exacerbée, Paris doit miser sur la qualité
Les défis sont de taille, d’autant que la concurrence, mondialisée, se durcit : l’Asie du Sud-Est, l’Amérique du Sud et le Moyen-Orient sont devenus des destinations touristiques majeures – avec des fréquentations multipliées par 60 en quelques décennies. La compétition s’accentue particulièrement dans le tourisme d’affaires, créneau sur lequel la Chine et ses huit nouveaux parcs d’expositions de plus de 100 000 m2 se positionne avec force. L’Île-de-France, place forte de l’Europe pour les salons et congrès, a pour elle ses nombreux sites de tailles variées (de Villepinte au Carrousel du Louvres) et son attractivité simultanée de tourisme de loisirs : les congrès et salons génèrent dans la région 20 000 emplois temps plein et des retombées annuelles au-delà du milliard d’euros – soit deux tiers du total national. Suffisant ? « Une marge de progrès » existe, note Sylvia Pinel, alors que la concurrence se joue aussi entre régions, PACA investissant en masse dans le tourisme d’affaires.
L’enjeu numéro un, de l’aveu de la ministre du Tourisme, est celui de la qualité. « Paris ne brille pas », estime le site Tripadvisor, dont l’étude met la France dans la seconde partie du peloton des destinations touristiques, notamment dans la convivialité des locaux (33ème sur 40). Avec les transports et l’intermodalité, enjeux déterminants de l’ambition métropolitaine du Grand Paris, la qualité de l’accueil des touristes est « un élément de différenciation majeur » face aux destinations concurrentes, selon la Chambre de commerce et d’industrie de Paris (CCIP).
Paris, ville la plus « likée » du monde sur Facebook, veut mieux capitaliser sur ses atouts. Car le tourisme est fort levier de croissance et d’emploi, comme l’ont compris les Italiens qui ont présenté la semaine dernière, et « pour la première fois dans l’histoire du pays », un plan stratégique pour le développement du secteur. L’ambition ? Rien de moins que 500 000 emplois.
Mardi 26 février à Paris, ces enjeux seront abordés lors du débat : « Développement du tourisme en région Île-de-France et qualité de service : un tremplin pour l’emploi ? »
>>> En savoir plus
- Présentation de la région Île-de-France, INSEE
- Note de conjoncture de la région Île-de-France, février 2012, INSEE
- Les baromètres de l’activité touristique à Paris Île-de-France
- L’enquête Besoins en main-d’oeuvre pour la région Île-de-France, Pôle-Emploi
- Sept conditions pour améliorer l’accueil et la mobilité des touristes en Île-de-France, rapport de la CCI Paris
- Le tourisme, une filière stratégique pour l’économie francilienne, rapport de la CCI Paris