Le smart grid est un réseau intelligent, à la fois physique et informationnel, qui a pour objectif de coordonner de la manière la plus efficace possible, la production, le stockage, la distribution et la consommation d’énergie. Dans les villes, les smart grids concernent aussi bien les réseaux d’eau, de gaz et d’électricité. Mais on peut étendre cette problématique à l’habitat en général, notamment à travers les bâtiments et à la mobilité, notamment dans le domaine des transports.
La révolution smart grid ne s’arrête pas là. Elle renvoie aussi à l’intégration et au raccordement des énergies renouvelables, comme le photovoltaïque ou l’éolien, au réseau traditionnel. Enfin, les réseaux intelligents permettent un ajustement en temps réel de la production et de la distribution d’électricité notamment, en reliant les producteurs, distributeurs et consommateurs tout en prenant en compte les besoins, non seulement en termes de quantité, mais aussi de localisation. La grande nouveauté des smart grids est donc de subordonner la consommation à la production, alors que jusqu’à présent c’était l’inverse : ceci étant, elle met l’usager au centre de la chaîne. Jean-Luc Thomas, professeur et titulaire de la Chaire électronique du CNAM, identifie cinq enjeux en lien avec la transition énergétique, auxquels les smart grids apportent une réponse :
- L’accroissement de la demande en électricité
- Le boom des énergies renouvelables
- L’ouverture des marchés de l’électricité
- L’émergence de réseaux de transmission locaux
- La gestion des pics de demande (« la pointe »)
Les smart grids ne constituent pas qu’une avancée technologique rebattant les cartes de l’efficience énergétique ; ils déterminent également des enjeux économiques et territoriaux importants avec, à la clé, la structuration d’une filière et une reconfiguration des métiers. Une filière, dans laquelle se coordonnent des acteurs privés – grands groupes mais aussi PME ou start-up –, les pouvoirs publics, les centres de recherche publics et privés, etc.
Une filière à fort ancrage local… qui vise l’international
Lancés en octobre 2013 par l’ancien ministre du redressement productif, les 34 plans pour la Nouvelle France Industrielle contenaient un volet « réseaux intelligents », conduit par Dominique Maillard, président de Réseaux de Transport d’Electricité (RTE), une filiale d’EDF. Et, rappelle Dominique Maillard, la France « peut déjà compter sur des leaders mondiaux dans toutes les technologies concernées : opérateurs de réseaux électriques et télécoms, équipementiers, producteurs de composants, ingénierie logicielle, data centers ». Ce ne sont pas en effet les entreprises qui manquent dans ce domaine : au côté d’ERDF et GRDF, ce sont Alstom Grid, Schneider Electric, Legrand, Smart Grid France, Alcatel-Lucent, Capgemini, Itron, Ijenko… (et bien d’autres) qui se positionnent sur le marché des smart grids et forment, déjà, une nouvelle filière industrielle. Une filière qui porte la promesse de renouveau industriel en France, dont le savoir-faire pourrait s’exporter.
Cette filière doit en effet se positionner sur ce marché à l’international, pour lequel les enjeux de l’exportation sont en effet considérables. En 2015, le marché mondial est estimé à 30 milliards d’euros avec une croissance annuelle de 10% par an. L’objectif serait donc d’asseoir la position française à l’international pour que la filière représente 10 % du marché mondial.
Pour favoriser l’exportation, une feuille de route propose de créer un label d’offre « Smart Grids France » et la création d’un Groupement d’intérêt économique (GIE) opérationnel en 2016. L’enjeu est de préparer et soutenir la compétitivité de la filière à l’horizon 2020. Cap sur l’innovation donc, avec une stratégie R&D, mettant en synergie les PME, start-up et centres de recherche, notamment dans le cadre du programme des Investissements d’avenir. Un programme, doté de 165 M€ au total, a déjà permis de soutenir seize projets depuis 2011, à hauteur de 83 M€.
Grâce à sa présence et son ancrage local, EDF avec la création de Concept Grid, peut par exemple développer des expérimentations, dans un laboratoire à ciel ouvert sur son site des Renardières (Seine-et-Marne) dédié à la Recherche et au Développement (R&D), et où est reproduit un quartier d’habitation. Le but : tester les technologies d’aujourd’hui et anticiper celles de demain. Des expérimentations qui se poursuivent dans les territoires, où chaque ville devient un démonstrateur approfondissant un aspect technologique des smart grids : alors que Nice se concentre par exemple sur l’énergie solaire et le stockage, Venteea explore l’éolien on-shore et Issy-les-Moulineaux développe les bornes de recharge des véhicules.
La première filière industrielle « client-centric » ?
Le compteur communicant Linky, développé par ERDF, est un des fleurons des smart grids à la française. Et en six ans, l’objectif est de remplacer la totalité des 35 millions de compteurs électriques, a rappelé la ministre de l’Écologie Ségolène Royal lors de sa conférence de presse de rentrée le 4 septembre. Trois millions de compteurs ont déjà été commandés par ERDF à six sociétés pour être déployés dès mi-2015. Sur le même modèle, le compteur de Gaz communiquant Gazpar, développé par GRDF, vient d’être approuvé par l’Etat : d’ici 2020, ce sont 11 millions de compteurs classiques qui vont être ainsi remplacés par des compteurs intelligents.
Dans le Grand Lyon, la mise en place des compteurs communicants dans le parc de logements du Grand Lyon Habitat, s’est accompagnée d’un site Internet qui non seulement explique leur fonctionnement mais aussi recueille les réflexions des locataires dans une optique d’amélioration et d’adaptation des services.
En effet, les smart grids marquent non seulement une révolution urbaine mais aussi de l’usager-citoyen. Alors que les villes ont été conçues dans l’optique d’absorber les demandes croissantes en énergie de leurs habitants, les smart grids bouleversent cet état de fait en mettant les usagers à contribution. Cette nouvelle filière développe donc une approche centrée sur la prise en compte des usages et des pratiques des clients.
Foisonnement de nouveaux métiers
Nombre de métiers se trouvent transformés pour s’adapter au développement de la filière smart grid, et ce, bien au-delà du secteur de l’énergie stricto sensu. Les secteurs des transports ou du bâtiment mutent ainsi également, mutations qui s’accompagnent d’un bouleversement des métiers à l’aune de la transition énergétique. Et construire les bâtiments connectés et communicants et autres bâtiments à énergie positive ou zéro-énergie (NZEB) requiert, pour les entreprises, de reformuler en profondeur leurs besoins en compétences.
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Nouveaux métiers ou nouvelles compétences ?
En termes de métiers, deux sont en première ligne de cette mutation : les métiers techniques pour des profils ingénieurs et le métier de business developer. L’enjeu en est de savoir coupler des technologies anciennes avec des énergies renouvelables : c’est donc la transversalité des métiers qui est privilégiée, toujours dans une optique d’innovation. Pour la transition énergétique dans son ensemble, « la plupart des métiers existent déjà et ne demanderont qu’un lifting des fonctions existantes », constate Alexis Jourdain, directeur du marketing d’Efinor, une entreprise de chaudronnerie industrielle manchoise, qui « passe » de la construction navale aux énergies renouvelables. Certains nouveaux métiers se développent bel et bien, comme le conseil énergétique, auprès des entreprises et organisations comme des particuliers. « Il s’agit de conseiller les utilisateurs d’énergie pour choisir la bonne forme d’énergie pour le bon usage, à la bonne dose », résume Vincent Kientz, président du cabinet Enea Consulting.
Les smart grids, en particulier, « exiger[ont] des compétences pointues en génie électrique et électronique ainsi qu’en télécoms », notait récemment la presse. La Commission européenne (pdf) allait jusqu’à estimer que le développement des réseaux intelligents requérait à moyen-terme le développement « substantiel de nouvelles capacités et compétences » : au-delà des nouveaux métiers à proprement parler, les techniciens, au-delà de connaissances nouvelles autour des énergies alternatives et des techniques d’analyse de données, auront par exemple un contact plus direct avec les clients. Dans le seul secteur de l’énergie, une étude EuroGroup Consulting précisait les choses :
Le boom des métiers du conseil et de la certification
Le secteur du bâtiment, qui avait déjà amorcé le passage à l’aire de la certification, notamment avec l’obligation de délivrer des diagnostics énergétiques, connait également le développement de « nouveaux » métiers, notamment dans le domaine du conseil. En amont, les métiers du génie des procédés, de la thermique et de la mécanique des fluides sont ainsi plébiscités et connaissent un renouveau. Leurs domaines de prédilection : la chasse aux gaspillages, la conduite de la conversion aux énergies renouvelables (le bois au lieu du fioul, par exemple) ainsi que la promotion de nouveaux outils de financement, tels que les contrats de performance énergétique ou les certificats d’économies d’énergie. Mais la certification ne se limite pas à la gestion de l’énergie : l’usage des technologies, du big data et du « wearable » dans les smart houses en particulier et dans les villes intelligentes devraient faire croître le marché des tests des équipements, tant au niveau des fabricants, des prestataires de service que des installateurs-intégrateurs. Sans bâtiment intelligent, pas de réseaux intelligents, et à la chaîne de valeur constituée par ces nouveaux acteurs correspond, inévitablement, de nouveaux métiers.
Perspectives de recrutement et anticipation des besoins
A l’échelle nationale, l’objectif de la filière française, concernant les réseaux de distribution et de transport de l’électricité, est ainsi de représenter d’ici 2020, plus de 25 000 emplois directs, contre 15 000 aujourd’hui, pour un chiffre d’affaires minimum de 6 milliards d’euros, contre 3 environ actuellement. Des profils de techniciens et d’ingénieurs sont alors fortement attendus et demandés, toutefois, il est encore difficile de projeter les besoins de recrutement de nouveaux talents et de compétences, mais aussi de formation, indispensables à l’évolution des entreprises et de la croissance de la filière.