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Nouvelles formes de travail : où en est-on en Europe ?

Le contrat de travail à durée indéterminée à temps plein est devenu dans le dernier quart du XXe siècle le mode référent d’organisation de la relation de travail en France et en Europe. Cela n’a pas toujours été le cas : en 1804, le code civil se contente d’énoncer, dans la section intitulée « Du louage des domestiques et des ouvriers » : « article 1780 : on ne peut engager ses services qu’à temps, ou pour une entreprise déterminée ». Le contrat qui lie l’employeur au travailleur est alors géré par le droit civil, comme un contrat entre égaux.

Ce n’est qu’à partir de 1840, comme le rappelle cette note historique, que l’on commence à concevoir un droit du travail distinct du droit civil, pour prendre en compte l’asymétrie de pouvoir entre le patron d’usine et l’ouvrier. Tout au long du XIXe et du XXe siècle, différents aspects du contrat de travail s’enrichissent de garanties favorables au salarié : durée du travail, congés payés, conditions de travail… mais ce n’est qu’avec la loi du 13 juillet 1973 encadrant le licenciement que le contrat à durée indéterminée est devenu véritablement plus protecteur que le contrat à durée déterminée : désormais, le licenciement peut être contesté devant le juge, et c’est à l’employeur d’apporter la preuve que sa décision était justifiée.

L’histoire sociale des différents pays européens a convergé sur ce point, jusqu’à la directive européenne 1999/70/CE du 28 juin 1999. Ce texte reprend un accord des partenaires sociaux européens, qui contient dans son préambule la déclaration suivante :

« Les parties au présent accord reconnaissent que les contrats à durée indéterminée sont et resteront la forme générale de relations d’emploi entre employeurs et travailleurs. Elles reconnaissent également que les contrats de travail à durée déterminée répondent, dans certaines circonstances, à la fois aux besoins des employeurs et à ceux des travailleurs. »

L’importance prise en France par le débat sur les 35 heures a montré également à quel point la référence restait le travail à temps plein.

 

La progression du CDD et du temps partiel

Pourtant, si l’on en croit les derniers chiffres de l’Union européenne sur l’emploi, publiés fin juin, moins des deux tiers (59%) des actifs occupés de l’Europe des 27 travaillaient en CDI à temps plein en 2010. Si la part des travailleurs indépendants a légèrement décru au cours des années 2000, tout en restant proche des 16%, celle des CDD a augmenté de 12% à 14% au cours de la décennie (malgré un petit recul en 2008-2009). La part du travail à temps partiel augmente aussi régulièrement depuis une vingtaine d’années, de 15,5% en 1994 (p. 173) à 18,5% en 2010 (grandes tendances résumées visuellement dans le graphique 73 de la p.70 de ce rapport d’Eurostat).

Ces chiffres dissimulent des disparités importantes : près d’un Néerlandais sur deux, par exemple, travaille à temps partiel ; l’Allemagne et les pays d’Europe du Nord recourent généralement davantage que la moyenne (autour de 25%) à ce type d’horaire, l’Europe centrale et orientale beaucoup moins (en-dessous de 10%). La France est autour de la moyenne. Surtout, le travail à temps partiel concerne majoritairement les femmes : près d’un tiers des employées européennes sont en contrat à temps partiel (et les trois quarts des Néerlandaises !), contre moins de 8% des hommes.

 

Précarisation ou émancipation ?

L’accès accru des femmes au marché du travail peut expliquer en partie l’augmentation de la part du travail à temps partiel. Mais d’autres phénomènes peuvent être corrélés à cette évolution : en Allemagne, la politique de désinflation compétitive s’est traduite, selon une étude de l’Institut allemand de recherche économique (DIW), par une baisse du revenu net des bas salaires de 16% à 22% au cours de la décennie 2000 ; or la multiplication des contrats à temps partiel et/ou à durée courte peu rémunérés explique en partie l’ampleur de cette évolution.

Dans le même temps, en France, on s’interroge sur le temps partiel subi. Selon les chiffres cités par l’Observatoire des inégalités, 5,5% des actifs travaillent à temps partiel et souhaiteraient travailler davantage – majoritairement des femmes. Cela représente donc environ le tiers des personnes employées à temps partiel, ce qui signifie que dans les deux tiers des cas, cette situation est choisie.

Le recul relatif du « modèle » CDI à temps plein recouvre donc des réalités différentes : précarisation pour les uns, choix délibéré d’un autre mode de vie pour les autres. Le succès, non démenti, du statut d’auto-entrepreneur (+12% en 2010, dans un contexte de stabilité (+1%) de la création des autres entreprises) peut également s’interpréter dans ce double sens : option de repli en l’absence d’emploi salarié, ou désir d’indépendance et esprit d’entreprise.

L’asymétrie employeur/ employé, qui a justifié l’émergence du droit du travail au XIXe siècle, continue à être vérifiée pour certains, mais pas pour tous. La maîtrise d’une expertise rare peut fort bien inverser cette asymétrie en faveur de l’apporteur de talent, qui ne souhaitera pas nécessairement, dans ce cas, adopter une forme trop contraignante de relation de travail.

 

La variété croissante des formes du travail multiplie donc les modalités offertes aux talents pour s’insérer dans les processus productifs. Ce récent rapport du Conseil d’analyse stratégique pose un regard prospectif sur la question, et comme le dit l’introduction de sa note de synthèse :

« D’ici à 2030, si les motivations du travail devraient rester globalement les mêmes, les relations d’emploi – avec le brouillage des frontières entre les statuts et l’affaiblissement de la subordination – et les conditions concrètes d’exercice du travail – avec la remise en cause des “trois unités” (de temps, de lieu et d’action) – vont poursuivre leur évolution. »

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