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Tout l’été, la sélection du Prix de la Fondation ManpowerGroup/HEC Paris est passée en revue sur l’Atelier de l’emploi. Le Management des réseaux est le quatrième livre à être chroniqué. (Re)lire la précédente présentation :
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« Comment sortir de la crise politique, morale et économique, qui sème le doute sur la pérennité du capitalisme ? À une période de grands bouleversements où la finance sert de dogme pour la performance, où l’entreprise perd ses points de repère, où les pouvoirs publics n’ont plus de marge de manoeuvre, il est temps de réfléchir à un nouveau pacte social dans l’économie de marché. Est-il possible d’adopter des comportements moins individualistes, pour produire des richesses ? Est-ce que la cohésion sociale est préservée dans l’entreprise par une gouvernance plus démocratique, dans des territoires à taille humaine, en multipliant les collaborations de proximité ? «
Christophe Assens « Le management des réseaux. Tisser du lien social pour le bien-être économique« , de boeck, 168 p., 24,50 €
Ce qu’en dit l’auteur : « La confiance est devenue un enjeu stratégique pour l’entreprise »
« L’organisation en réseau est une organisation où la confiance joue un rôle fondamental, car elle permet la collaboration entre acteurs, entre partenaires, entre entreprises. J’ai travaillé depuis vingt ans sur ce sujet, y compris à l’époque où Internet et les réseaux sociaux n’existaient pas. Mais j’ai toujours considéré ce sujet comme fondamental car si l’on souhaite réconcilier les dimensions sociale et économique dans les organisations productives, il est très important de mettre l’accent sur l’immatériel, sur le lien de confiance entre les acteurs, qui peut être une source de création de valeurs très importante.
La confiance ne peut pas se décréter. Et c’est un enjeu stratégique fondamental aujourd’hui dans les entreprises. L’avenir des grandes entreprises occidentales n’est pas lié aux ressources naturelles, à la monnaie, aux ressources en effectif, mais à l’innovation, et à l’innovation technologique. Et on sait aujourd’hui de manière très précise que cette capacité d’innovation est liée au partage de connaissances, à l’échange d’informations – y compris stratégiques et entre concurrents. Tout ceci ne peut se dérouler sans un cadre de confiance.
Il y a un paradoxe énorme dans beaucoup de grandes entreprises aujourd’hui : comment concilier la gouvernance traditionnelle de l’entreprise – la logique hiérarchique, les attentes des actionnaires… – et la mise en réseau des acteurs et le partage de la confiance? […] Or, plus on introduit de garde-fous et de logiques institutionnelles, plus la confiance est normée et encadrée, plus elle perd de son sel. La confiance, c’est ce qui reste quand tout a disparu. »
(Verbatims issus d’une vidéo publiée sur le site personnel de Christophe Assens)
Ce qu’en disent les critiques
Sur ce thème « largement protéiforme et polysémique » du réseau, il est « heureux » que Christophe Assens, maître de conférences à l’Université de Verssailes-Saint-Quentin en Yvelines spécialiste des stratégies de coopération et de la gouvernance des réseaux, « livre son savoir académique« , se réjouit la revue Personnel (pdf). Est notamment apprécié l’exemple de l’entreprise Hervé Thermique, dont le fonctionnement « réticulaire » sans organigramme hiérarchique, autour d’un « travail exclusivement sur mesure et en mode projet, combiné avec les mécanismes du marché », « clôt toute incantation managériale » : l’entreprise sans chef, cela marche !
Christophe Assens détaille comment le management des réseaux, en même temps qu’il investit l’intangible, l’humain, et crée de l’incertitude, permet tout à la fois de mieux naviguer dans un contexte d’incertitude généralisée. Car plus encore que la conciliation en interne du couple performance/collaboration, trop souvent perçu comme paradoxal, c’est dans la « formalisation d’un nouvel esprit du capitalisme » que se distingue Le management des réseaux. Le réseau ne devient alors plus seulement une nouvelle manière de manager la complexité, mais carrément un modèle macro-économique et, dans un contexte économique interdisant toute projection dans l’avenir même proche, la réinvention d’un pouvoir d’agir, quelque part entre guerre et bien-être économiques.
Les Echos retiennent ainsi la notion de « capitalisme de réseau » comme possible réponse à la crise, en suivant la distinction établie entre trois modèles de créations de richesse appelés à s’étendre : le réseau distribué (relations de connivence tacite d’égal à égal), le réseau piloté (autour d’un acteur central commanditaire) et le réseau administré (structure animée par « têtes de réseaux », que l’on retrouve dans l’économie sociale et solidaire).
Ce qu’on peut y lire
« Au siècle dernier, les principes d’unité de lieu, de temps et d’action propres à la tragédie grecque servaient encore de cadre de référence à des entreprises de profil sédentaire, évoluant localement dans des circuits courts pour répondre à une demande locale, sous l’égide d’une unité de commandement. Aujourd’hui, la vie des affaires obéit à des règles multiples et parfois contradictoires, dont les contours sont flous et incertains. »
« Avec l’ouverture des frontières, l’essor des télécommunications et la multiplication des alliances d’entreprises, nous portons notre attention sur le management des relations, qui devient aussi prédominant que le management des ressources ou des compétences. Or, la gestion des relations est certainement l’activité la plus difficile à maîtriser, car il n’est pas simple de prévoir ou de contrôler les réactions d’autrui. Pour réduire les risques d’incertitude dans le rapprochement des firmes émerge une forme d’organisation au sein de laquelle les principes de confiance et de réciprocité vont prévaloir : le réseau. »
Ce qu’on ne pourra (vraiment) pas lire ailleurs
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Des illustrations nombreuses : le réseau Benetton adossé aux PME italiennes, le Technopak de Casablanca au Maroc et les limites de l’innovation collaborative, la fidélisation des talents au sein d’un réseau chez Ikea ou Ford, etc.
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Une semi success-story, celle de Michel Hervé, organisateur en réseaux à succès avec son entreprise Hervé Thermique (voir plus haut), moins en réussite dans la transposition de son modèle de démocratie d’entreprise à sa fonction de maire de la ville de Parthenay :
« [Dans ce cas,] le réseau de citoyens est-il un succès pour la démocratie ? […] Ce mode de gouvernance n’est pas idéal car il recèle des limites importantes et présente des risques politiques. En l’occurrence, le management en réseau a pour principal inconvénient d’affaiblir le pouvoir politique du maire, c’est la raison pour laquelle, en 2001, Michel Hervé perd les élections avec un score de 33 %, isolé dans le jeu politique local, en demeurant à l’écart des réseaux de citoyens et en retrait des corps intermédiaires : représentants de partis politiques, syndicalistes, journalistes, notables, etc. »
- Une définition « par le haut » du personal branding, autour du concept d’homo reticulus, dont l’auteur parle en ces termes :
« Dans le monde complexe d’aujourd’hui, il ne s’agit pas d’optimiser des choix économiques car ce n’est plus possible en raison des incertitudes. Il s’agit de tisser des liens sociaux pour se protéger des crises, saisir des opportunités, ou construire une identité dans la quête de sens. L’homo reticulus est donc une personne qui cultive son capital relationnel comme un bien plus précieux que le patrimoine matériel ».
Depuis la publication : comment collaborer avec des opportunistes
Depuis la publication du Management des réseaux, Christophe Assens a notamment publié « How to manage free riders in a network of competitors: the case of animal genetic selection industry in France » (pdf, anglais), un article scientifique illustrant par un cas d’école le concept de « coopétition », ou quand les entreprises organisent la coopération avec des concurrents. Le transfert de compétences et le partage de connaissances : stratégique et séduisant sur le papier, mais comment gérer les free riders, ces Machiavel de la coopération ?
Pour un management des réseaux dégagé des vices de l’opportunisme, le chercheur invite à faire du réseau un jeu à somme nulle, où chacun reçoit ce qu’il donne. Ce qui nécessite de doter l’innovation ouverte de plusieurs mécanismes : la régulation par les pairs, une tierce partie, une structure de médiation… Une plongée salvatrice dans les rouages de la confiance !
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> À suivre, lundi 1er septembre : Dette. 5 000 ans d’histoire, David Graeber (Les liens qui libèrent)