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Economie-du-bien-et-du-mal

La sélection du Prix Fondation ManpowerGroup/HEC (1/5) — De Gilgamesh au numérique, l’économie, ce mythe

> La sélection du Prix de la Fondation ManpowerGroup/HEC Paris
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« Qu’est-ce que l’économie ? Pourquoi est-elle trop souvent considérée comme une science exacte ? Pourquoi sommes-nous si dépendants de la croissance permanente ? D’où vient l’idée du progrès économique et où nous conduit-elle ? […]

En soutenant une thèse simple, presque hérétique, selon laquelle l’économie relève en définitive d’un choix constant entre le bien et le mal, Tomás Sedlácek bouleverse radicalement l’approche actuelle, comme personne avant lui […].

Tomás Sedlácek « L’économie du bien et du mal – La quête du sens économique » (préface de Vàclav Havel), Éditions Eyrolles, 382 p., 25 €

Ce qu’en dit l’auteur : « Pardonnez-nous nos dettes comme nous pardonnons aussi à ceux qui sont endettés envers nous »

Tomas Sedlacek
Photographie Lars Mensel pour The European Magazine

« Mieux vaut prendre un exemple que d’essayer de résumer le livre entier. […]

Les taux d’intérêt sont un thème de débat dans toutes les civilisations dont nous sommes de près ou de loin les héritiers. Et ce débat est toujours moral. Où que vous cherchiez, dans le code babylonien d’Hammourabi, dans l’Ancien Testament, dans le Coran, dans les Védas, chez Aristote et dans les écrits de tous ces sages d’autrefois, vous trouverez un seul et même leitmotiv : méfiez-vous de l’usage ou de l’abus des taux d’intérêt. Comme si la sagesse du passé nous disait: attention aux taux d’intérêt, nous ne comprenons pas leur philosophie, leurs principes […].

Aujourd’hui, nous considérons les taux d’intérêt comme un exercice purement technique que nous avons tenté d’arracher à son terrain moral d’origine mais, on le voit, quels que soient nos efforts pour le traiter techniquement, il garde une forte composante morale […].

Dans une lecture radicale des affaires courantes aux États-Unis et en Europe, le problème qui se pose actuellement (avril 2013, ndlr) à nous est que nous sommes incapables de pardonner (les dettes). Le pardon est indispensable (les banques américaines ne survivraient pas sans le pardon des pouvoirs publics) mais nous ne savons pas s’il faut le pratiquer, ni quand (la Grèce plutôt que Chypre), ni comment (ou qui) pardonner.

Dans le Nouveau Testament, le mot grec qui désigne le péché signifie « dette » -de sorte qu’une traduction littérale de la parole du Seigneur donne ceci: « Pardonnez-nous nos dettes comme nous pardonnons aussi à ceux qui sont endettés envers nous ».

[…] Les chiffres ne sont que l’extrémité visible de l’iceberg de l’économie moderne, tout le reste, la masse immergée, étant formé de croyances, de théologie, de culture, d’histoire, de philosophie, de mythes. […] Avec ce périscope, nous manquerons toujours l’âme, l’intention, la signification, l’immatériel, l’humble et l’élément même qui nous rend humains. Ce livre tente de parler de l’âme de l’économie, et de ramener cette âme dans le débat.

(Extraits de la tribune de Tomás Sedlácek au Huffington Post)

Ce qu’en disent les critiques

La critique de Sedlacek, écrit La Tribune, n’est pas nouvelle : nombreux sont ceux qui défendent l’idée qu’« une bonne dose d’épistémologie, de curiosité et de scepticisme peut être un efficace remède contre une dérive scientiste ». Mais à l’image d’un auteur comme Nassim Taleb, ancien trader devenu « lecteur compulsif érudit », l’approche de Tomas Sedlacek, ancien jeune conseiller du président-philosophe tchèque Vàclav Havel et désigné comme l’un des cinq « jeunes loups » de l’économie par la Yale Economic Review, est originale car elle « mélang[e] joyeusement […] références culturelles et historiques à des situations quotidiennes et à ses expériences personnelles ou encore à la culture populaire ». Comme par exemple : comment lire la croissance économique comme une « troisième bière » face à trois buveurs qui n’avaient jusque-là sous leurs yeux que deux pintes.

Le New York Times abonde : si le par ailleurs auteur d’un Crépuscule de l’Homo oeconomicus écrit ici un livre peu centré sur la pratique concrète de l’économie, il est « rafraîchissant d’entendre [une critique du dogme de la croissance, du financement par la dette et de l’économie purement mathématique] sous la plume d’un… économiste ».

Encore plus intéressant que cette seconde conclusion – l’obsession pour la croissance -, ajoute le Financial Times : la première, celle qui se penche sur les mythes, l’histoire ou la religion pour retrouver les racines de la science économique, moins science que lutte éthique contre bien et mal. Au final, une lecture compulsive à prévoir « pour ceux dont la gamme d’intérêt dépasse le dernier rebondissement de la crise de la dette ou la possibilité future d’une récession à double creux ».

Ce qu’on peut y lire

« Non seulement l’économie décrit le monde, mais elle dit souvent comment il devrait être fait (efficacité, concurrence parfaite, forte croissance du PIB, faible inflation, forte compétitivité, État modeste). »

Ce qu’on ne pourra (vraiment) pas lire ailleurs

Gilgamesh

  • L’interprétation d’un passage biblique, du Livre de la Genèse, où Joseph conseille au pharaon ce qui, rétrospectivement, peut être identifié comme le « tout premier cycle économique de l’histoire » via une « politique fiscale anticyclique tout-à-fait keynésienne ».
  • Une analyse de l’Épopée de Gilgamesh, une des premières oeuvres écrites de l’humanité, sous le prisme de l’économie et de la conception cyclique du temps, hors du « progrès ».
  • L’attribution du concept de la « main invisible » et de la division du travail, traditionnellement liés à Adam Smith, à Xénophon, philosophe grec du Vè siècle av. J.-C.
  • Une comparaison de la situation actuelle de l’Europe à la géopolitique entre Elfes, Nains et Hobbits du Seigneur des Anneaux.

Depuis la publication : demain, la disparition de l’économie

Depuis la première publication de cet ouvrage en 2009 (en tchèque ; édité pour la première fois en français l’an dernier), Tomas Sedlacek poursuit ses analyses sur l’état de nos économies. Cet économiste en chef d’une des principales banques tchèques, CSOB, publiait récemment sur le site The European un regard rarement porté sur « la nouvelle économie numérique ». Une économie où, paradoxalement, « l’économie comme discipline ne comptera plus. La psychologie d’aujourd’hui sera considérée comme un précurseur et remplacera l’analyse économique. »

L’économie deviendra littéralement virtuelle, dépassant le world of things et même le world of thinks, où régnaient « les avocats, économistes, consultants, informaticiens », pour se tourner toujours plus vers l’abstraction et l’émotion. Volontiers utopique, ce monde de la « demande abstraite », c’est celui de l’enfant, « joueur, émotif, non sérieux, aventureux, attentif aux nouveautés, éducables« . Et dont les attentes, les désirs, les imaginations seront le principal moteur de l’économie. A lire en ligne, en anglais.

***

> À suivre, lundi 11 août : Le travail invisible – Enquête sur une disparition,
Pierre-Yves Gomez (François Bourin Editeur).

Crédits images Michael Aston et Claude Valette/flickr (licence CC BY-NS-SA)
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