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Dominique Turcq : « L’entreprise ne doit pas se sentir coupable d’être en retard »

> Cliquer sur l’image pour découvrir les 10 freins à la transformation de l’entreprise identifiés par Dominique Turcq :

10 barrières à lever

Quels constats sur l’entreprise d’aujourd’hui vous ont poussé à écrire ce livre ? 

Le premier constat, c’est que j’observe une atmosphère de culpabilisation ambiante, voire une angoisse, qui pousse à se lancer vite dans un certain nombre de projets afin ne pas être trop en retard. Cela se manifeste par un florilège de déclarations, de positionnements, d’investissements notamment sur le digital, nouveau mot attrape-tout. Mon message est le suivant : on peut déculpabiliser, ce n’est pas forcément un mal d’être en retard et ce retard peut être, comme l’indique le sous-titre de livre, un avantage compétitif.

elogeduretardLes entreprises sont-elles vraiment en retard sur la technologie ?

L’innovation technologique derrière laquelle « court » en quelque sorte l’entreprise, c’est en tout cas loin d’être une nouveauté. Mais nous avons ici deux phénomènes qui caractérisent ce qui est en train de passer : la multiplication tout d’abord, avec beaucoup de technologies nouvelles – et de nouveaux comportements – qui entrent simultanément dans l’entreprise. Les personnels se mettent à naviguer sur les réseaux sociaux, en même temps que les Big Data sont une opportunité à ne pas manquer, et  qu’il faut absolument mettre vos applications dans le cloud, et que l’entreprise devient mobile, etc.

Et le second phénomène, c’est l’accélération : non seulement ces éléments apparaissent dans l’entreprise, mais le modèle de croissance de ces technologies (et des usages qui les accompagnent) est devenu un modèle exponentiel. On trouve par exemple déjà l’imprimante 3D en magasin grand public alors qu’on ne commence qu’à saisir à quel point cela va être une explosion technologique pour l’industrie.

Les start-up ne sont-elles pas irrémédiablement « en avance » ?

Les start-up ne sont pas par nature « en avance ». Et dans une certaine mesure, il est illusoire de penser que la grande entreprise puisse se réorganiser comme une petite start-up, totalement collaborative, sans hiérarchie, etc. Une certaine hiérarchie (voire une hiérarchie certaine) doit perdurer pour faire fonctionner des silos et des process, même s’il faut évidemment retirer les barrières que ceux-ci ont installées dans l’entreprise. Il faut distinguer le normal – les silos – des obstacles qui se sont développés et des paralysies qu’ils provoquent.

La grande entreprise, avec son histoire, ses valeurs, ses produits, n’est pas une start-up ; il n’en reste pas moins qu’elle peut être « allégée », et qu’il faut lutter contre plusieurs formes d’inertie…

« On saisit mal l’enjeu de transformation de la culture d’entreprise et des usages qu’il y a derrière un nouvel outil »

Quelle transformation, aujourd’hui, sur la proposition de valeur de l’entreprise ?

Toute entreprise « prend entre » : elle est intermédiaire, qu’elle soit une entreprise de distribution ou industrielle. La question fondamentale pour une entreprise est : quelle est la valeur de cette intermédiation ? À quoi sert l’entreprise ? Avec quel coût ? Et surtout, il faut savoir se reposer la question « de quoi le client a-t-il besoin ? », pour se réajuster à ce qui fait sa raison d’être : suis-toujours capable aujourd’hui d’apporter la valeur que je prétendais apporter au départ à mes clients ?

Cette question, les grandes entreprises ne se la posent plus aujourd’hui ?

Elle est plus souvent oubliée que ce que les promesses publicitaires laissent supposer, notamment lorsque l’on se repose sur des habitudes passées… ou sur des clients captifs. Plus fondamentalement, l’entreprise se meut parfois en une énorme machinerie qui tourne presque sur elle-même à tel point qu’elle en oublie ses consommateurs. La solution, c’est de revenir à sa proposition de valeur. Si c’est cela fonctionner « en mode start-up », on est ici moins dans l’illusoire…

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Quel est le déclencheur, celui qui fait qu’une entreprise ne reste pas dans l’anecdotique mais met en oeuvre une authentique transformation ?

C’est la question que doivent se poser les dirigeants aujourd’hui. Est-ce qu’installer Sharepoint (solution logicielle collaborative, ndlr) dans son entreprise suffit à devenir « collaboratif » ? Il faut avoir le courage de lancer ce type de projets pilotes, mais aussi celui d’en tirer des leçons avant de les généraliser : qu’est-ce qu’ils apportent en termes de productivité, d’innovation, d’engagement ?

Malheureusement, on ne l’observe pas toujours : parce qu’on saisit mal l’enjeu de transformation de la culture d’entreprise et des usages qu’il y a derrière un nouvel outil, ou, plus profondément, parce que l’enjeu même de transformation est mal compris, et que les barrières qui sont à lever n’ont pas été identifiées. Ainsi, lorsqu’on installe un outil collaboratif, mais qu’on n’évalue pas les compétences collaboratives des collaborateurs, est-on vraiment devenu collaboratif ? Est-on prêt, dès lors, à changer son système d’évaluation des compétences ? Est-on prêt à reconnaître que faire appel aux réseaux sociaux externes et naviguer sur Facebook peut être facteur de productivité ? Identifier les barrières qui empêchent les nouveaux usages d’être généralisables dans l’entreprise, c’est un immense défi managérial, qui nécessite de vrais programmes de changement.

« La fonction RH, si elle saisit la balle au bond, est la mieux placée pour retirer les barrières »

Encore faut-il savoir percevoir et mesurer les bénéfices attendus de ce changement…

Nombreux sont les leaders qui n’ont en effet pas encore bien appréhendé toutes les nouvelles forces qui sont en jeu : le collaboratif, le recrutement de profils internationaux, les systèmes informatiques en SaaS et en cloud, etc. Et il faut les avoir saisi pour se donner la capacité de rassurer les managers sur tous ces nouveaux usages et de réinventer leur rôle, faute de quoi les blocages organisationnels perdurent…

Pourquoi dit-on que les RH sont au coeur de ces mouvements à opérer ?

C’est en effet le cas, même si toutes les fonctions centrales sont concernées. Mais les RH, par définition, sont transversales. Elles ont à gérer des hommes et des process dans toute l’organisation. Et elles peuvent en conséquence être parmi les tous premiers agents de changement : étant au cœur du système, elles peuvent être en capacité de porter, au sein de la direction, la nécessité de bouleverser les systèmes d’évaluation, de rémunération, de développement des compétences…

Le risque, c’est en revanche d’avoir une fonction RH elle-même peu au fait des enjeux de transformation, voire une RH qui fait partie des freins et des blocages. Et si les DRH sont de moins en moins issus des RH et de plus en plus orientés business, c’est que les directions estiment que le rôle d’agent de changement des RH « traditionnels » a, jusque-là, été peu rempli…

La fonction RH, en tous les cas, se « dénature » littéralement, elle se transforme. Il faut savoir aujourd’hui si elle a une ouverture suffisante sur ces forces qui s’exercent sur l’entreprise, et si elle est en capacité d’identifier toutes les barrières qu’il faut retirer. À la tête de changements RH profonds, il faut des individus capables de comprendre l’impact de ces forces sur l’organisation de l’entreprise. Ces implications – sur le business, sur les personnes, sur l’informatique et le juridique –  sont d’ailleurs propres à chaque entreprise… La fonction RH, si elle saisit la balle au bond, est la mieux placée.

> Voir l’étude et l’infographie Les nouveaux visages de la transformation de l’entreprise : qui sont les DRH du CAC40 ?

Dominique Turcq
Dominique Turcq

Les projets numériques, selon une récente étude, sont davantage portés par la direction de la Communication ou du marketing que par la DSI ou la DRH…

Le monde de l’ergonomie, de l’interface-utilisateur, des Apps, du collaboratif, du cloud, sont en effet plus près de l’univers de la communication que de celui de l’informatique et de la technique-reine. Mais ces sujets ne peuvent restés éloignés des RH : un outil collaboratif installé avec succès amène un changement dans le système de développement, d’évaluation, de rémunération, ainsi que dans le recrutement. Cela ne peut pas être qu’un instrument de communication, car il y a des enjeux de transformation profonde de l’organisation.

En tous les cas, les fonctions centrales, aujourd’hui, sont mêlées les unes aux autres d’une façon inextricable. Elles ont la nécessité de travailler ensemble, ce qui est souvent complexe, pour parvenir, paradoxalement, à simplifier les choses…

Vous terminez votre ouvrage sur une note prospective… Avec des mutations qui se multiplient et s’accélèrent, les entreprises seront-elles toujours plus amenées à « détruire leur business model » (et le reconstruire) en permanence ?

De nouveaux paradigmes sont en train d’apparaître. Cette question de la proposition de valeur à réinventer, à reformuler et en tout cas à questionner, doit dès aujourd’hui être à l’agenda des comités exécutifs. Et de manière générale, il faut en fait n’être ni trop en avance, ni trop en retard. Il faut choisir ses batailles !

> Aller + loin : Et si les DRH portaient plus les projets numériques de l’entreprise ?

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« Éloge du retard de l’entreprise. Comment en faire un avantage compétitif ? » de Dominique Turcq, fondateur de l’Institut Boostzone. Aux éditions Eyrolles dans la collection La nouvelle société de l’emploi de la Fondation Manpowergroup, 136 pages, en librairie depuis le 17 avril 2014 (12 euros), livre électronique disponible sur boostzone-editions.fr.

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> Crédits images Alan CleaverGilad Lotan, Abode of Chaos/Flickr (licence CC) 
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