Hier, jeudi 13 juin, se tenait la deuxième Convention annuelle d’Energie Jeunes, une association au sein de laquelle des cadres bénévoles soutiennent des milliers de collégiens de ZEP (zones d’éducation prioritaire). Objectif : « conduire chaque jeune à croire en ses capacités, à s’investir pleinement dans sa scolarité et prendre de bonnes habitudes, grâce à l’acquisition de compétences d’engagement dans l’action et d’autodiscipline. » La Fondation ManpowerGroup, partenaire de l’association depuis 2010, était encore présente à l’événement.
Les méthodes de l’entreprise pour redonner confiance à des jeunes qui se croient condamnés
La méthode d’Energie Jeunes, c’est de faire entrer l’entreprise à l’école. Des cadres de quatorze grandes entreprises partenaires revêtent leur casquette de coach pour redonner confiance à ces jeunes qui croient souvent que la réussite leur est interdite.
En 2012-2013, 237 formateurs bénévoles ont ainsi accompagné 15 000 élèves (un effectif multiplié par 3 en un an !) issus de 81 établissements de ZEP partout en France. Leurs interventions dans les collègessont organisées comme des sessions de formation en entreprise et se concentrent sur le « savoir-être », les soft skills, la discipline de base qu’un jeune doit savoir adopter pour se mettre dans les meilleures conditions pour apprendre au mieux – et préparer sa réussite future. Et ça marche !
Le Point relate ainsi l’expérience de Thomas Deligny, cadre chez Manpower :
« Thomas leur a appris cette histoire [du mouton de Panurge] après le passage d’une vidéo « apprendre à dire non aux copains ». Deux mois après la première session, les sixièmes ont parfaitement retenu que se coucher tôt, c’est bon pour le cerveau, qui se concentrera plus facilement, et que faire une chose toujours à la même heure, comme ses devoirs, la rend plus facile. « J’ai appris à prendre confiance en moi », « ça m’a donné l’envie », « j’ai monté en anglais », « ça marche », ont écrit certains d’entre eux sur la fiche d’appréciation qui leur a été remise à la fin de l’animation, comme à l’issue de toute formation en entreprise. »
Il ne s’agit pas de se substituer à l’Education nationale, mais « certains messages passent mieux quand ils viennent d’un monde différent, » observe Pascale Petit, principale adjointe dans un collège de ZEP, dans le reportage du Point. Résultat : des élèves plus confiants, plus concentrés, meilleurs en anglais, plus optimistes aussi…
Le coach, arroseur arrosé !
« Créer de la valeur économique en créant de la valeur sociétale », voilà la méthode Energie Jeunes résumée par Le Point. Une stratégie « gagnant-gagnant » : car si le service rendu à ceux qui sont les plus menacés par les ravages du décrochage scolaire paraît évident – les témoignages des collégiens et des formateurs d’un jour en attestent -, c’est aussi une manière pour les cadres de retrouver du sens et de la motivation dans leur métier en ayant quasi instantanément un impact positif sur la trajectoire des jeunes qui ont le plus besoin d’être aidés. Un moyen, aussi de sensibiliser les futurs arrivants sur le marché du travail aux types de compétences recherchées par les entreprises…
Ci-dessous, le reportage d’Alix RATOUIS dans Le Point (09/06/2013), reproduit avec l’aimable autorisation du magazine.
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Quand des cadres font du coaching… en ZEP !
Des managers bénévoles vont délivrer des messages de savoir-être aux collégiens de quartiers défavorisés. Décapant et enrichissant pour tout le monde.
Il est 6 h 45, le matin est noir et glacial. Une berline cossue s’échappe d’un parking de l’un des quartiers chics de la capitale. À son bord, Marie-Anne, la cinquantaine élégante, manager chez Manpower. Elle a programmé sa destination sur son GPS : le collège Jean-Macé, à Fontenay-sous-Bois (94), au coeur d’une zone d’éducation prioritaire (zep). Un rendez-vous d’affaires ? Non, une mission : convaincre en deux heures des élèves de cinquième et de sixième qu’ils ont un potentiel et qu’ils peuvent l’exploiter pour réussir à l’école.
Ils sont des dizaines de cadres de grandes entreprises à s’être enrôlés comme Marie-Anne sous la bannière d’Énergie Jeunes, une association centrée sur la prévention du décrochage scolaire fondée par Philippe Korda, entrepreneur expert en management et en stratégie. C’est en parrainant une classe d’enfants en grande difficulté dans un quartier défavorisé que l’idée lui vient de créer un produit de formation s’adressant spécifiquement aux enfants de quartiers difficiles qui les aiderait à développer leur motivation pour le travail. Concevoir des formations, c’est le truc de Philippe Korda, c’est même le coeur de son métier : de grands groupes le sollicitent pour qu’il forme leurs cadres, qu’il s’agisse de management ou d’accroître leur implication dans l’entreprise.
Pour faire passer son message, Philippe Korda a besoin d’animateurs bénévoles. Où les trouver ? Chez ses clients. Voilà comment des cadres de L’Oréal, Atos ou HSBC se retrouvent face à des classes de gamins des cités. « La première fois, ils sont terrifiés, rapporte Philippe Korda, même si ce sont des dirigeants habitués aux comités de direction. » La veille de sa première intervention, Christian, de Siemens, n’a pas fermé l’oeil : « J’étais aussi stressé que si j’avais à présenter un business concept à des clients. »
Dans l’intérêt bien compris des entreprises
Mais pourquoi diable ces sociétés envoient-elles des volontaires sur ce front ? Il ne s’agit pas de vendre leur marque, cela leur est strictement interdit. Pure philanthropie, vraiment ? Selon Philippe Korda, elles y trouvent leur intérêt, mais à long terme. Les entreprises ont compris que pauvreté et chômage menaçaient leur activité d’aujourd’hui comme leurs profits de demain. « L’entreprise ne peut pas prospérer dans un environnement dégradé. Elle aura du mal à recruter une main-d’oeuvre qualifiée et va se trouver asséchée. »
Créer de la valeur économique en créant de la valeur sociétale, tel est le nouveau défi du capitalisme. L’affaire a été théorisée par Michael Porter. Après avoir soutenu pendant vingt-cinq ans que le profit était le seul indicateur de réussite d’une entreprise, ce gourou en matière de stratégie d’entreprise, professeur à Harvard, met en avant la « valeur partagée ». L’entreprise ne peut plus se centrer uniquement sur le bénéfice de l’actionnaire ; pour réussir aujourd’hui, elle doit créer un bénéfice partagé entre l’actionnaire, le client, qu’elle doit fidéliser, les salariés, qui doivent s’épanouir sinon les meilleurs la quittent, et la société. Engager leurs salariés dans ce type d’actions citoyennes devient donc le nouveau credo des entreprises. Selon Philippe Korda, l’effet est à double détente : « S’impliquer dans de telles actions est une source de fierté pour les collaborateurs, cela développe de la solidarité entre eux et un attachement à l’entreprise. »
Des tuyaux pour la discipline
Marie-Anne accueille les élèves en leur serrant la main, ce qui en laisse certains interloqués. Elle leur distribue des chevalets sur lesquels elle leur demande d’inscrire leur prénom, comme tout bon animateur de séminaire d’entreprise ferait. Elle leur a donné aussi un jeu de cartons de couleur qu’ils brandiront pour répondre à des questions inscrites sur des diapos. « Ce matin, quel était votre état d’esprit en vous levant ? » Ceux qui lèvent les cartons rouges étaient de mauvaise humeur, l’intervention d’Énergie Jeunes les a obligés à se lever une heure plus tôt que d’habitude. Marie-Anne rebondit sur les réponses des uns et des autres : « Tu étais fatigué, tu t’es peut-être couché tard ? » Oui, à 1 heure pour celle-ci, à minuit pour cet autre, comme la moitié de la classe.
Pendant deux heures, jeux, vidéos et discussions se succèdent. Marie-Anne est à l’aise, elle a l’habitude de s’exprimer en public, et ce n’est pas sa première expérience. L’association propose aux débutants un petit stage de théâtre. Ils ont eu aussi une journée de formation, un samedi, pour assimiler le contenu pédagogique. On leur a donné des tuyaux pour maintenir la discipline : marquer un silence quand le brouhaha augmente, se rapprocher des bavards, leur donner la parole… Après les sixièmes, Marie-Anne enchaîne avec une classe de cinquième. À la fin des deux sessions, elle est « lessivée ». Mais en même temps regonflée à bloc : « Ça me recharge », dit-elle.
Énergie Jeunes a un effet décapant sur les cadres. Fiers d’eux quand ils réussissent à embarquer dans l’animation les récalcitrants, leur intervention les revalorise : « On a l’impression d’apporter plus à ces jeunes qu’à l’entreprise », dit Luc, d’Orange. Pour Christian, cet engagement lui permet de « refaire le lien avec l’humanité », dont le monde du business est dépourvu. En un mot, ça leur fait du bien. Et en prime, ils utilisent les principes acquis dans les zep pour booster leurs équipes ! Excellent retour sur investissement pour l’entreprise.
« Le mec, il est cool »
Certains enseignants restent méfiants. Ils se demandent pourquoi l’entreprise vient se mêler d’éducation et sont surpris par le côté développement personnel des messages. C’est justement ce discours inhabituel, à la fois managérial et relevant du coaching, qui a séduit Pascale Petit, la principale adjointe du collège Jean-Macé : « Certains messages passent mieux quand ils viennent d’un monde différent. » Pour elle, en matière de lutte contre le décrochage scolaire, les approches doivent être multiples pour toucher le plus d’élèves possible.
« Ce qui m’a impressionné, c’est l’histoire du mouton qui saute dans le vide, et aussi le mec, il est cool », juge un élève de sixième. Le « mec », c’est Thomas, cadre chez Manpower, et le mouton, celui de Panurge. Thomas leur a appris cette histoire après le passage d’une vidéo « apprendre à dire non aux copains ». Deux mois après la première session, les sixièmes ont parfaitement retenu que se coucher tôt, c’est bon pour le cerveau, qui se concentrera plus facilement, et que faire une chose toujours à la même heure, comme ses devoirs, la rend plus facile. « J’ai appris à prendre confiance en moi », « ça m’a donné l’envie », « j’ai monté en anglais », « ça marche », ont écrit certains d’entre eux sur la fiche d’appréciation qui leur a été remise à la fin de l’animation, comme à l’issue de toute formation en entreprise. Pour des commentaires comme ceux-là, les cadres animateurs vont continuer à se lever tôt.
L’article du Point
Notre dossier « Jeunesses » :
« Notre marché du travail ne cesse de renforcer le clivage entre insiders, bénéficiant de contrats de travail protecteurs, et outsiders, soumis à des emplois instables. Un système globalement défavorable aux jeunes, surtout à ceux sans diplômes. Pourtant, le diplôme n’est pas la seule façon d’analyser le potentiel d’un individu. »