L’Institut de l’entreprise vient de publier un rapport : « Flexibilité responsable, dépasser le dualisme du marché du travail. » La rédaction de ce travail a été confiée à Charles de Froment, chercheur spécialiste des formes atypiques d’emploi, aujourd’hui chargé de mission chez ManpowerGroup. [EDIT janvier 2013 : Charles de Froment est aujourd’hui responsable des affaires publiques].
Deux raisons majeures l’ont motivé :
- « La crise actuelle pourrait accroître les besoins en flexibilité des entreprises. Préserver les emplois d’aujourd’hui et créer ceux de demain suppose de rendre notre marché du travail toujours plus agile et réactif », soulignent Xavier Huillard et Françoise Gri (président et vice-présidente de l’Institut de l’entreprise) dans l’avant-propos. Dans un environnement instable et alors que les clients se font plus en plus exigeants, il faudrait « abandonner une vision « honteuse » de la flexibilité. »
- Il faut dans le même temps « mieux aménager » la flexibilité car elle n’est, aujourd’hui, ni adaptée aux besoins des entreprises ni équitable socialement. Elle repose en effet actuellement quasi-exclusivement sur les outsiders (i.e : ceux qui ne bénéficient pas de CDI, notamment dans les grandes entreprises, ou du statut de la fonction publique), soulignait Xavier HUILLARD dans une interview. C’est sur ce point que le rapport innove le plus, selon Le Collectif :
« La réelle nouveauté vient de l’approfondissement de la notion d’outsiders qui vise à distinguer les personnes sous contrats « précaires » de manière passagère et celles qui souhaiteraient en sortir mais n’y arrivent pas. »
L’étude montre qu’un « compromis de flexibilité » s’est établi en France depuis longtemps, qui tend à faire peser sur une catégorie limitée de salariés (en CDD, intérim, stages, mais aussi en CDI à temps partiel « subi » ou dans de longues chaînes de sous-traitance) une grande partie des risques (perte d’emplois, moindre accès à la formation, etc.). L’expression de « dualisme du marché du travail » rend compte de cette segmentation du marché du travail en deux parties relativement étanches.
Le rapport insiste sur la gravité de ce dualisme :
« Une telle équation n’est pas tenable sur le long terme car elle conduit, particulièrement en période de crise, à fragiliser les mêmes catégories de personnes (jeunes, salariés peu qualifiés). Entre le 2ème trimestre de 2008 et le 1er trimestre de 2009, près des 2/3 des suppressions d’emploi (en équivalent temps plein) l’ont été dans le seul secteur du travail temporaire, phénomène majeur qui est loin d’avoir obtenu une couverture médiatique proportionnelle à son importance numérique… et sociale. »
Sur le fondement de cette analyse, et s’appuyant sur les suggestions de nombreux praticiens, le rapport énonce les principes d’une « flexibilité responsable », pour laquelle il faudrait « faire confiance aux acteurs plutôt qu’à la loi. » Dans ce cadre, il souligne les « limites d’une lecture juridique du dualisme » :
« De cette situation, il a souvent été fait une lecture essentiellement juridique, comme si, pour certains, la forme juridique des contrats « atypiques » produisait mécaniquement des conditions de travail dégradées et une plus grande « précarité » ; pour d’autres, la précarité des salariés en contrats flexibles s’expliquerait par la trop grande protection juridique dont bénéficieraient les salariés en CDI.
Mais une telle vision confond la précarité juridique des contrats avec celle des personnes. Or, la forme du contrat ne préjuge pas de la qualité des emplois : l’équivalence emplois flexibles/précarité des personnes ne résiste pas à l’analyse ; de même, un CDI n’est pas nécessairement synonyme d’emploi de qualité, notamment dans certaines formes de sous-traitance. »
Propositions
« Pour un meilleur équilibre entre flexibilité interne et flexibilité externe »
Une gestion responsable passe alors « par une meilleure anticipation des besoins en flexibilité, qui peut permettre de diminuer un recours souvent routinier aux formes particulières d’emploi ou à la sous-traitance, en développant davantage les formes internes de flexibilité (chômage partiel, plus grande flexibilité des horaires, etc.). »
Le rapport souligne que, si une partie des solutions est de nature juridique, la réorganisation de la Poste « constitue un excellent exemple de la manière dont des innovations managériales prenant en considération l’ensemble des parties prenantes peuvent considérablement améliorer l’efficacité sociale et économique des politiques de flexibilité des entreprises. »
« Promouvoir une flexibilité externe qui garantisse les conditions de travail et l’évolution de l’employabilité des salariés »
« Les contrats courts actuels sont indispensables car ils correspondent à des besoins de nature temporaire ; on ne peut pas leur substituer des CDI « classiques ». »
Pour mettre en place une flexibilité soutenable pour ces salariés en contrats courts, « la protection contre les maladies professionnelles et les accidents du travail, l’amélioration des conditions de travail doivent constituer des chantiers prioritaires. »
Ci-dessous quelques-unes des propositions avancées par le rapport :
- Mise en place d’un indicateur unique d’accident du travail, incluant CDI et intérimaires (comme chez Vinci ou Rhodia) ;
- Publication, dans le bilan social, des taux d’accident du travail des principaux sous-traitants.
- Introduction de clauses sociales dans les contrats de fourniture de main-d’œuvre et association systématique des services RH à la négociation des contrats de sous-traitanceet de travail temporaire.
- « Les emplois flexibles doivent constituer une étape dans un parcours professionnel choisi et non subi, et s’accompagner de réelles possibilités de formation professionnelle. » Le rapport souligne ainsi l’urgence de concentrer l’obligation légale de formation sur les salariés les moins qualifiés et l’importance du développement de compétences transversales, adaptées aux besoins des bassins d’emploi.
>>> Pour aller plus loin :
- Télécharger le rapport (pdf).
- Interview vidéo de Charles de Froment, auteur du rapport :