C’est un point de vue assez peu banal, dans une crise pourtant commentée de toutes parts : le problème des médias « traditionnels » n’est pas le manque de talents digitaux, ni même les lacunes des grands groupes en termes d’innovations. Dans le Nieman Journalism Lab d’Harvard, Matt DeRienzo, lui-même journaliste, avance que le principal problème que connaissent les entreprises de presse est… une mauvaise gestion des ressources humaines !
Pour sortir de la crise, provoquée en partie par l’arrivée du numérique, une seule solution : « mettre des spécialistes en ressources humaines à la tête des postes dirigeants« . Et cela au sein même des rédactions.
Faire sortir les journalistes de leur zone de confort
Selon lui, il ne faut pas se tromper de combat : non, tous les journalistes ne sont pas contre le digital first, soit le basculement total vers une création de valeur d’abord pensée stratégie numérique . Non, il n’y a pas besoin d’être forcément digital native pour s’adapter aux nouvelles exigences du journalisme web, etc.
En revanche, il faut faire sortir les journalistes de leur zone de confort. Leur expliquer pourquoi leur métier évolue, comment, ce qu’il est attendu d’eux, à court, moyen et long terme. Et, poursuit DeRienzo, ce que cela peut apporter à leur carrière. Le tout, en tête-à-tête.
Ressources humaines : un poste de direction en plein cœur de la rédaction ?
La digitalisation des médias entraîne avec elle l’intégration au sein des rédactions de nouveaux métiers : spécialiste des mobiles, des audiences, du communautaire, du référencement, de la veille… De nouvelles compétences, loin d’être forcément innées dans ce secteur, qui nécessitent un apprentissage particulier, une formation tout au long du parcours professionnel, un accompagnement. Plus encore, au niveau stratégique, les besoins des compétences de demain doivent être plus anticipés. Et pour Matt DeRienzo :
« Un nouveau poste de direction au sein de la rédaction – idéalement au moins numéro 2 […] – devrait être consacré au management du capital humain, spécialisé dans le journalisme et les challenges auxquels les journalistes font face aujourd’hui.«
Le volet RH de la transformation des entreprises est ainsi ici considéré comme stratégique, avec une RH qui joue le rôle de courroie de transmission entre d’une part les besoins et perspectives en termes de capital humain et d’autres part la stratégie d’entreprise. Quitte à s’affirmer comme les nouveaux visages de la transformation de l’entreprise.
Que faire dans un secteur en état de crise permanent ?
Baisse – parfois drastique – des effectifs (et plus rarement, un virage numérique qui invite à un recrutement massif), turnover, manque de diversité au sein des rédactions, changement constant et environnement économique instable… Autant de chocs à absorber et de facteurs qui bouleversent en continu les modèles traditionnels du métier.
Matt DeRienzo est formel : les rédactions sont en état de crise permanent, face à un impératif d’innover perçu comme fuyant. Toutes, même celle du prestigieux New York Times, dont un mémo interne, rendu public, est devenu un document de référence sur l’état de la presse contemporaine, ont l’impression de passer à côté de quelque chose, même si elle ne savent pas forcément quoi.
Côté gestion du capital humain, le constat est tout aussi implacable :
« Les rédactions n’ont pas les compétences pour trouver, utiliser au mieux et former les talents de leurs équipes. »
Surmonter ces défis humains dès maintenant, sans attendre d’hypothétiques jours meilleurs, serait justement une opportunité de (début) de sortie de crise. Reste à savoir ce que penseraient les rédactions d’une telle proposition…