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L Hopscoth / Flickr / CC BY NC ND

« Il est temps pour les DRH de ne plus opposer indicateurs chiffrés et capital humain »

Interview publiée initialement dans La revue Personnel, numéro de mars 2015 et relayée sur le site du CIFRH. Propos recueillis par André Perret, Vice Président DPM&Associés.

ManpowerGroup est partenaire Jupiter du CIFRH 2015.

Depuis des années, la communauté des DRH est  scindée. D’un côté ceux qui placent le capital humain au cœur de leur métier, de l’autre ceux qui « parlent chiffres ». Entre les deux, le plus souvent des individus souvent perdus qui attendent un argument décisif qui permettrait de choisir son camp. Et si la vérité était ailleurs ? Et si nous avions besoin de l’un pour favoriser l’autre et vice-versa ?  C’est la conviction de Sébastien Van Dyk, directeur général stratégies et opérations RH de ManpowerGroup Solutions et  directeur du Développement et de l’Innovation de ManpowerGroup, lors d’une rencontre au siège de ManpowerGroup,  à Nanterre.

Après une carrière chez Accenture, Sébastien Van Dyk rejoint ManpowerGroup en 2008 où il exercera différentes fonctions de conseil et de ventes dans différentes filiales : Jefferson Wells, Manpower Business Solutions puis chez Manpower au sein de la Direction des Ventes Grands Comptes. Il prend ensuite en charge la Direction du Développement et de l’Innovation de ManpowerGroup  et devient Directeur Général de l’entité Stratégies et Opérations RH de ManpowerGroup Solutions. Il intègre à ce titre le Comité Exécutif élargi du Groupe.

André Perret- Sébastien Van Dyk, qu’est ce qui vous a amené à vous intéresser à ces sujets ?

Sébastien Van DykSébastien Van Dyk – D’abord, je ne suis pas DRH et ne l’ai jamais été. Ensuite, j’ai passé près d’une dizaine d’années chez Accenture. Mon expérience  m’a amené à rationaliser en permanence en m’appuyant sur des chiffres pour que les dirigeants puissent prendre des décisions éclairées. C’est vrai que les outils, les tableaux de bord ou les indicateurs sont très employé dans les différentes directions et services des entreprises. En revanche, en RH, en dehors du Bilan Social, on ne peut pas dire que ce soit un terrain fertile pour la quantification et les algorithmes. Lorsque j’ai rejoint Manpower en 2008, j’ai assez vite compris que pour marier les projets de réorganisation de nos clients et les convictions éthiques et « humaines » de notre Groupe, il fallait construire une nouvelle démarche qui utiliserait l’aspect « scientifique » des données pour mieux préserver l’agilité de l’organisation et donc conforter  l’employabilité et les ressources des salariés.

"Lorsque j’ai rejoint Manpower en 2008, j'ai vite compris qu'il fallait construire une nouvelle démarche qui utiliserait l’aspect "scientifique" des données pour mieux préserver l’agilité de l’organisation"

AP-  Au-delà des spécificités de chaque entreprise, observez-vous des tendances ou des préoccupations communes qui peuvent justifier cette approche ?

SvD – La plupart du temps, lorsqu’on est en période de crise, la tentation est grande de se retourner vers le DRH pour lui demander de réduire les effectifs. Le DRH est alors en position de réponse et non en situation de proposition. La raison essentielle est qu’il n’est pas dans l’anticipation. Personne ne s’en offusque, le DRH est dans son rôle, du moins dans le rôle qu’on a coutume de le voir adopter ou de lui donner. La situation est exactement la même lorsqu’une direction opérationnelle tacle un DRH lors d’un Comex pour savoir où il en est des 500 recrutements qu’on lui a demandés  hier. Le DRH est aussi en situation de fournisseur traditionnel, certainement pas de stratège. Or, plus leur visibilité se réduit, plus les dirigeants d’entreprises veulent de réactivité.

> Lire aussi : Recrutement des PME-ETI : piloter la gestion prévisionnelle des recrutements

Les grandes mutations de techniques, de marchés, d’habitudes de consommations qui prenaient auparavant des dizaines d’années se font aujourd’hui parfois en une ou deux années. Donc savoir comment rendre souple et agile une organisation doit être un leitmotiv. Si le DRH reste en situation de support en attendant la demande, il se met lui-même hors course. Il doit en permanence adapter lui-même « son » offre, en fonction de la variation de stratégie de son entreprise. C’est ce qui va redonner une dynamique. La composante RH doit être partie prenante des décisions et stratégies économiques discutées et décidées en Comex., bien au-delà de la présence ou non du DRH à ce Comex. Ce n’est pas encore suffisamment le cas…

AP – Alors, quelle est la solution, selon vous, et doit-on la corréler avec la numérisation ?

SvD – La solution consiste à revenir aux fondamentaux : anticiper et quantifier. Le principal chantier à mener est celui de la prévision. Et pour cela on a besoin de chiffres, d’indicateurs. C’est ce qu’attendent les dirigeants de leur DRH. Prenons un exemple : on demande à un DRH de fermer un site. Il est assez simple de quantifier le coût de cette fermeture. Ou du moins, c’est ce que vous croyez. D’autant que vous allez comparer ce chiffre avec ce que couteraient la formation et le reclassement du personnel concerné vers d’autres métiers dans l’entreprise. Sauf que beaucoup d’autres variables sont aussi à prendre en compte : le coût des recrutements pour occuper ces autres métiers, l’insatisfaction sociale générée par les départs, le désengagement prévisionnel de ceux qui restent… Bref, une multitude de paramètres  qui, il faut bien le dire, sont  trop peu souvent dans la panoplie du DRH.

"Nous sommes en pleine transformation d’organisation, ce n’est pas avec les anciens comportements ou les anciens outils que nous pourrons survivre"

Les éléments que nous fournissent  les bases de données, les différents outils logiciels rendent aujourd’hui possibles ces calculs. Et pour aller plus loin encore, le DRH, en anticipant, et en mettant sur la table du Comex le sujet avant même qu’il soit évoqué peut permettre à la direction générale de modifier ses caps, tout en augmentant réactivité et productivité.  La numérisation permet aussi de produire des statistiques qui sont autant d’indicateurs et d’aide à la décision. Ce n’est pas encore dans la culture RH, sauf chez les « GAFA » (Google, Apple, Facebook, Amazon).

AP- Et vous estimez que l’autre partie de la solution est de travailler en mode collaboratif…

SvD – Oui, avec ceux qui savent le mieux comment évolue et va évoluer leur métier, leur marché…Ce sont les opérationnels. Il est nécessaire de faire remonter ces informations en permanence. Le DRH idéal est celui qui, à la lecture des données que lui  remontent ces opérationnels, cumulées aux données qu’il recueille des sources d’informations extérieures, et ligne directe avec la connaissance de l’objectif stratégique de l’Entreprise, est capable de lancer lui-même les recrutements nécessaires, les formations, de façon à permettre le moment venu, aux opérationnels de puiser dans la ressource ainsi constituée. Pas d’écart, pas de temps perdu. Le DRH prend alors le « lead » de l’opération.

> Lire aussi : Gilles Babinet : "Les Data-Scientists doivent avoir une place dans l'entreprise"

En revanche, pour conclure sur ce chapitre, attention à la fracture numérique. Il faut être en mesure de la maîtriser. Or on sait qu’elle peut être présente sans être forcément visible. Là encore, il est de la responsabilité de la DRH d’investiguer ce sujet maintenant et non pas en réaction, lorsqu’il sera trop tard. « Trop tard », c’est toujours le moment de la « casse  sociale ». Nous sommes en pleine transformation d’organisation, ce n’est pas avec les anciens comportements ou les anciens outils que nous pourrons survivre.

"Il est de la responsabilité de la DRH d’investiguer ce sujet maintenant et pas lorsqu’il sera trop tard. Trop tard, c’est toujours le moment de la casse  sociale"

AP- Comment le DRH peut-il s’approprier cette « nouvelle culture » ?

SvD – D’abord certains l’ont déjà fait. On observe chez les nouveaux DRH une sensibilité plus forte à ces nouveaux paradigmes. Ensuite, je vous disais tout à l’heure qu’il faut savoir revenir aux fondamentaux. Lorsque vous interrogez un opérationnel pour lui demander de quelles compétences ses collaborateurs auront besoin dans trois ans, pour lui permettre d’atteindre ses objectifs , et que vous êtes capable d’avoir un état des lieux réel de l’existence ou non de ces compétences, du coût de l’acquisition de ces compétences, de la nécessité ou non d’aller les chercher à l’extérieur, je pense que vous modifiez ainsi votre approche recrutement et votre approche formation, partie pourtant intégrante de votre périmètre. Et de plus on y intègre une approche financière prévisionnelle. Mais on voit aussi l’intérêt que prend alors l’entretien professionnel, le rôle de l’encadrement, la pédagogie nécessaire pour montrer là où l’on veut aller et comment les salariés peuvent se préparer eux-mêmes à ces mutations. Encore un fondamental de la RH, non ? Une approche prévisionnelle, rationnelle, basée sur des données chiffrées, n’a jamais été antagoniste à une approche humaine. Bien au contraire, une société qui sait se mouvoir à travers les soubresauts des marchés et des crises protège ainsi ses collaborateurs et c’est un discours que peuvent aussi  comprendre  les partenaires sociaux. Mais pour ça aussi, il faut des chiffres, des faits et  de la transparence sur les objectifs. Pas des spéculations.

Crédits image : L /Flickr / Licence CC BY NC ND
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