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Alain Roumilhac : « Les salariés peuvent choisir leur employeur »

PAROLE D'EXPERT. Face à la mutation digitale et, plus largement, celle du monde du travail, ManpowerGroup se transforme et analyse l'évolution de nouvelles formes d'emploi.

Cet entretien réalisé par Yann Le Galès a été initialement publié le 07/09 dans Le Figaro.

Le président de ManpowerGroup France analyse les conséquences de la révolution numérique sur l'emploi. Alain Roumilhac explique pourquoi «de nouvelles formes d'emploi se mettent en place».

Comment ManpowerGroup s'adapte aux changements du monde du travail?

Alain ROUMILHAC. – Nous avons la chance d'avoir dans le groupe une marque très forte, Manpower, qui réalise 4 milliards d'euros de chiffre d'affaires en France. Nous plaçons 100 000 intérimaires chaque jour chez nos clients. Notre croissance est supérieure à celle du marché du travail temporaire. Nous sommes présents sur de nouveaux marchés. Notre savoir-faire nous permet d'accompagner nos clients sur l'ensemble de leurs quatre grands défis en matière de ressources humaines: l'acquisition de compétences temporaires (intérim) ou permanentes (recrutement) ; l'évolution des compétences ; la mise en œuvre de stratégies d'externalisation ; la transformation digitale.

Allez-vous poursuivre vos acquisitions en dehors de l'intérim?

Nous sommes passés de 400 à 3 500 personnes dans les nouvelles activités développées en dehors de l'intérim en trois ans. Nous nous développons notamment dans les activités de support bureautique. Nous déployons, par exemple, 70 000 tablettes pour la Société générale.

Appliquez-vous votre savoir-faire à cette nouvelle activité?

Nous appliquons nos savoir-faire en matière de formation, de recrutement et de gestion de la transformation à notre filiale Proservia, spécialiste du support aux outils numériques dans l'entreprise, qui employait 800 personnes quand nous l'avons acquise en 2012. Elle en emploie aujourd'hui 2 500. Nous avons repris des activités à IBM (120 personnes) fin 2014 et Atos (850 personnes) au premier trimestre. Nous offrons des perspectivesd'emploi à ces salariés.

Quel type de salarié embauchez-vous?

Nous embauchons des personnes qui ont un potentiel. Notre partenariat avec Pôle emploinous permet de recruter des jeunes titulaires d'un bac en échec scolaire, qui constituent une grande partie des 750 collaborateurs embauchés chaque année. Nous les formons pendant trois mois. Nous les intégrons dans nos équipes. Nous les rendons opérationnels.

Comment répondre aux attentes de jeunes collaborateurs?

Nous avons, par exemple, mis en place un système de rémunération variable en fonction de leur productivité.

Et la formation?

Nous avons acquis il y a quatre ans une activité d'e-learning. Nous avons repris les activités formations d'entreprises comme Atos et CGI. Nous développons des programmes de formation en intégrant des techniques d'e-learning. Nous sommes passés de 3 à 20 millions d'euros de chiffre d'affaires en trois ans. Nous visons les 50 millions d'euros de chiffre d'affaires.

Les entreprises externalisent-elles de plus en plus leur recrutement?

Nous constatons de plus en plus que les grandes entreprises souhaitent ne plus avoir d'équipes de recrutement intégrées. Elles préfèrent travailler avec nous qui facturons nos prestations au recrutement. Elles peuvent nous confier le recrutement de plusieurs centaines de personnes par an.

Le CDI intérimaire qui permet d'enchainer des missions pendant trois ans chez un même client, séduit-il les intérimaires?

1000 CDI intérimaires seront signés d'ici la fin de l'année. Ce changement est majeur car il permet de mettre en place une forme de flexisécurité à la française.

La révolution numérique va-t-elle continuer de bouleverser les recrutements?

Le numérique a eu beaucoup de conséquences depuis dix ans. De nouvelles applications vont encore faire évoluer le recrutement. Nous avons créé des outils qui nous permettent d'aller chercher des candidats sur le réseau Linkedin où de plus en plus de personnes mettent à jour leur profil. Voilà pourquoi il est essentiel de scanner les réseaux sociaux pour trouver les bonnes compétences. Nous avons aussi créé une cellule de veille technologique qui détecte de nouvelles applications et les nouveaux services.

Le salarié a-t-il plus de choix?

Jusqu'à maintenant, l'employeur choisissait ses collaborateurs. Cela n'est plus vrai. Dans beaucoup de métiers, ce sont les salariés qui choisissent leur employeur. Des sites expliquent l'environnement dans lequel les candidats vont travailler. Et ce sont les candidats qui disent s'ils sont intéressés ou non.

La transformation numérique oblige-t-elle les entreprises à embaucher de nouveaux salariés ayant des compétences différentes?

Les entreprises vont avoir besoin de moins de salariés et de collaborateurs ayant des qualifications différentes. Le premier secteur touché est le monde du tertiaire. Les banques et les assurances redoutent d'être concurrencées par les géants du Web.

Et dans l'industrie?

Dans l'automobile, les industriels s'interrogent pour savoir qui seront les acteurs clés de la voiture autonome. Les constructeurs automobiles ou les géants du web. Le premier constructeur mondial pourrait s'appeler Google ou Apple.

Les intérimaires sont-ils touchés?

Nous avons mis en place des applications mobiles pour nos intérimaires il y a huit mois. Nous leur proposons par exemple de placer leur bulletin de salaire dans un coffre-fort électronique. Deux mille ont accepté de recevoir leur salaire dès les deux premiers mois ; 75 000 intérimaires utilisent ces applications mobiles pour communiquer avec nous et gérer leurs missions.

Les dirigeants ont-ils conscience de la révolution numérique?

Ils ont parfaitement conscience que les entreprises doivent se transformer dans les prochaines années. Je passe beaucoup de temps à discuter de ces sujets avec eux. Les dirigeants s'interrogent sur le nouveau modèle à mettre en place. Quels métiers dois-je garder en interne? Quels sont les salariés qui peuvent évoluer?

Est-ce la fin du salariat?

Nous avons atteint l'optimum du salariat . Les autoentrepreneurs sont révélateurs de cette mutation. De nouvelles formes d'emploi se mettent en place. Les collaborateurs veulent être plus indépendants. Des applications accélèrent ce phénomène. La loi numérique portée par Emmanuel Macron peut être une excellente opportunité pour débattre de l'évolution du travail et de ses conséquences sociales.

Le phénomène Uber peut-il se produire dans votre secteur?

Nous anticipons l'arrivée de nouveaux concurrents qui pourraient s'attaquer à notre marché grâce au Big Data en proposant des services à des prix plus bas. Mais nos clients sont toujours très sensibles au jugement humain que nous apportons sur le savoir-être de nos collaborateurs. Nous savons qu'à compétence égale un intérimaire peut aller travailler dans telle entreprise mais qu'un autre ne le pourra pas. Nous travaillons aussi à l'amélioration de notre productivité grâce à l'adoption de technologies numériques.

Quel est le rôle du dirigeant?

De préparer les changements qui peuvent survenir dans 5 ou dans 10 ans et d'emmener ses équipes vers de nouveaux objectifs en comprenant à quelle vitesse le corps social est capable de s'adapter.

Pourquoi publiez-vous un livre?

Ce livre, qui est publié à la fin de l'année chez Eyrolles, est un dialogue avec Gérald Karsenti, PDG de HP France. Nous analysons les transformations que les entreprises vont connaître dans les prochaines années. Nous expliquons que le monde économique s'explique par trois concepts: la production qui sera portée par la robotisation, les transactions seront réalisées par les serveurs intelligents ; les interactions seront réalisées par les hommes. Les collaborateurs de l'entreprise n'auront donc plus le même rôle. La gestion des ressources humaines sera majeure et permettra la réussite ou l'échec des entreprises.

Avez-vous des divergences d'analyse avec Gérald Karsenti?

Non. Nous sommes proches culturellement. Nous avons passé 20 ans dans la même entreprise. J'ai de plus personnellement travaillé 25 ans dans les technologies de l'information. Mais nos parcours désormais sont différents et donc complémentaires: les technologies de l'information et les ressources humaines.

Quel sera son titre?

Sans doute, «L'avenir de l'entreprise, transition numérique et transition de compétences». Il sera édité dans la collection «L'instant qui suit» chez Eyrolles.

La révolution numérique provoquera-t-elle des ruptures?

Je ne le crois pas. Ce mouvement va s'accélérer.

Crédit image : ©Arnaud Vareille

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