ENTRETIEN. La révolution numérique bouleverse la façon dont les ressources humaines sont gérées au sein des entreprises. Rencontre avec Yaëlle Leben, DRH de Cisco (Systems) France, qui nous parle de la vision de son métier, de la manière dont l’innovation en change les pratiques mais aussi des évolutions, présentes et à venir, de nos manières de travailler.
La transformation numérique ne concerne pas seulement les outils. Elle est aussi managériale et humaine. Nous avons demandé à plusieurs experts des Ressources Humaines et de l’innovation de partager leur vision de ces transformations et de nous expliquer comment leur rôle a évolué dans un contexte d’accélération numérique et de rupture technologique.
Dans le premier de ces entretiens, Yaëlle Leben, responsable de près de 1 000 collaborateurs au sein de Cisco (Systems) France, nous explique ce qui fait le cœur de sa pratique RH aujourd’hui. Elle évoque la transformation de la fonction RH, mais aussi les mutations qui font changer les entreprises en profondeur. Enfin, elle souligne les enjeux auxquels doivent répondre les professionnels RH alors que le monde du travail est en pleine révolution.
La révolution numérique bouleverse le métier des ressources humaines. Comment décririez-vous l'évolution du rôle des DRH ?
Les ressources humaines ont connu une véritable révolution ces dernières années. Elles sont passées d’un rôle centré sur le service du personnel à quelque chose de bien plus large, qui inclut désormais l’accompagnement du business. De manière symptomatique, il n’y a pas une réunion RH chez Cisco sans que cette thématique du business partnering ne soit abordée, avec l’idée d’accélérer encore dans cette direction !
Les contours du métier de RH de demain sont déjà perceptibles. En tant que DRH, je passe de plus en plus de temps à rencontrer nos clients, pour une raison simple : Cisco (Systems) France ne se contente plus de vendre de l’informatique à des informaticiens ! Nous vendons nos produits à des managers et à des responsables dont la vision ne se limite pas aux aspects IT de leurs activités. En tant qu’expert de mon métier, j’interviens donc de manière très régulière pour expliquer notre vision de la conduite du changement, comment nous avons mis en place de nouveaux outils et de nouveaux systèmes et quels en sont les bénéfices pour notre organisation et donc, potentiellement, pour la leur. Nous mettons en place une véritable dynamique de partenariat !
« Les Ressources Humaines sont passées du service du personnel à quelque chose de bien plus large, qui inclut l’accompagnement du business »
Chez Cisco, nous nous appuyons sur des business cases très concrets. C’est ce qu’il s’est passé avec Cisco Spark, notre application favorisant le travail en équipe, que nous avons adaptée en outil d’évaluation de la performance et des compétences en 24h via un hackathon RH. Cet outil, pensé initialement pour répondre à nos problématiques internes, nous sommes aujourd’hui en mesure de le présenter à nos partenaires. Quand nous leur racontons comment nous l’avons implementé chez Cisco et comment cela a changé nos modes de collaboration, c’est tout de suite objectif, parlant, réalisable… et très concret.
De mon point de vue, le vrai changement est là : il n’y a pas un projet informatique où les professionnels RH ne sont pas impliqués… il n’y a plus de problématique purement informatique ! Toute problématique concerne désormais l’intégralité de l’entreprise et de ses activités.
Comment les entreprises doivent-elles, selon vous, gérer l’innovation aujourd’hui ?
Chez Cisco, l’innovation se décline sous deux principaux aspects : une dynamique de co-innovation et une dynamique proprement interne.
La co-innovation chez Cisco, c’est d’abord un travail avec nos gros clients, et cela prend de plus en plus d’importance. Tout le monde travaille ensemble, à la même vitesse. Cette démarche fonctionne d’autant mieux que les problématiques de départ ne sont pas définies trop précisément, et qu’elles peuvent être dépassées dans le processus collaboratif.
Pour ce qui concerne l’innovation interne, Cisco encourage beaucoup les hackathons. Ils sont possibles dans tous les services et sur toutes les problématiques. Nos développeurs y trouvent un certain degré d’épanouissement car cela leur permet de travailler sur des sujets différents de ceux qu’ils traitent au quotidien.
L’innovation est également partie prenante de notre démarche RSE. On attend de nos collaborateurs des idées et des initiatives innovantes. Les plus intéressantes sont présentées régulièrement au comité de direction de Cisco et accompagnées dans leur réalisation, pour les plus pertinentes, par un membre dirigeant.
« Nous encourageons le reverse mentoring : les collaborateurs aident les startups et les startups aident les collaborateurs en retour »
Enfin, la collaboration avec l’écosystème entrepreneurial est une thématique cruciale chez Cisco. Je rencontre personnellement des dirigeants de startups pour leur donner des conseils et réfléchir aux solutions Cisco les plus en phase avec leurs besoins. Tout le monde est très connecté à cet écosystème de jeunes pousses innovantes chez Cisco ! Rien d’étonnant, puisque nos collaborateurs sont, pour beaucoup, de vrais adeptes des technologies. Nous encourageons donc un système de reverse mentoring : les collaborateurs aident les startups et les startups aident les collaborateurs en retour.
L’une de nos initiatives parmi les plus vivantes est sans doute le Switch Up Challenge, lancé en 2013 Après un appel à candidature et une première sélection, 8 startups finalistes entrent en compétition cette année. Un mentor Cisco les aide dans leur démarche, développe leur réseau. Au terme de ce processus, une startup ressort gagnante. Cette année, comme l’année dernière, nous annoncerons son nom à l’occasion du salon VIVA Technology.
La transformation numérique a changé jusqu’à nos manières de travailler. Comment Cisco prévoit-il le futur de la workplace experience ?
Pour ce qui concerne l’évolution de nos façons de travailler, je dirais qu’il y a d’un côté les tendances générales et de l’autre, ce qui se passe chez Cisco. Et je pense que nous sommes plutôt en avance en la matière. Chez Cisco, 100 % de nos salariés sont cadres. Par ailleurs, 50 % des effectifs de Cisco en France ont des managers qui travaillent à distance et appartiennent à des équipes virtuelles. On peut donc dire que nous avons un terreau plus que favorable pour la virtualisation du poste de travail !
Dans notre travail au quotidien, je distinguerais deux niveaux de virtualisation :
- La flexibilité. Chacun de nos collaborateurs peut déjà travailler d’où il veut, quand il veut ; la présence physique n’est absolument pas contractualisée chez nous. En revanche, un avenant spécifique est mis en place si le collaborateur souhaite dépasser les 4-5 jours par semaine de télétravail.
- Les outils : notre mode de travail intègre une forte dimension WebEx (audio et vidéo). Tous les ordinateurs sont équipés de webcams et les réunions sont systématiquement filmées. Mais toutes les entreprises ne sont pas en mesure aujourd’hui de mettre en place ce type de fonctionnement !
Pour pallier tout sentiment d’isolement chez nos collaborateurs, nous avons développé des zones de co-working un peu partout, en partenariat avec Blue office – Nexity. Cette expérience pilote a été lancée l’année dernière, pour faire du co-working une alternative possible au télétravail. Ce qui permet à nos collaborateurs de se sociabiliser tout en restant près de chez eux. Le pendant de cette philosophie, c’est que les espaces physiques de bureau doivent encourager la collaboration et la discussion. Les meetings physiques doivent se tenir dans des espaces conviviaux, qui encouragent le partage et l’échange. C’est pour ces moments-là que vous venez physiquement au bureau !
« Les évolutions sociologiques vont s’accélérer. Autant d’enjeux passionnants pour les DRH que nous sommes ! »
Dans les prochaines années, la question de l’équilibre vie personnelle/vie professionnelle sera cruciale pour toutes les entreprises. C’est vrai que notre relation au temps a énormément évolué, et que la barrière entre vie personnelle et vie professionnelle a complètement changé de nature. Il me semble que dans les années à venir, la présence physique aura de moins en moins d’importance. La notion même de « congé » est un sujet de complète révolution. Chez Cisco, où la gestion des congés est déjà menée de manière très autonome par les collaborateurs, nous menons des expérimentations aux Etats-Unis pour prendre en compte toutes ces mutations.
L’autre grande tendance de fond, selon moi, c’est l’expérience employé, qui devient de plus en plus personnalisée au sein des entreprises. Chez Cisco, nous travaillons à implementer une carte des bénéfices et des avantages complètement individualisée. Après tout, une femme mariée avec des enfants n’a pas les mêmes besoins en termes de couverture médicale qu’un célibataire sans enfant ou qu’un jeune étudiant qui rentre dans la vie active. Nous considérons donc qu’il faut adapter les avantages sociaux aux besoins individuels.
Plus largement, le rôle RH est en train d’évoluer de façon massive, ce qui est une bonne chose. Les personnels RH sont de plus en plus attendus sur les questions de conduite du changement et sur tous les sujets de transformation. Nous avons aujourd’hui un rôle d’accompagnateur et de business partner. Cela va de pair avec de grands défis pour le futur. Car les évolutions sociologiques déjà en cours vont s’accélérer. Autant d’enjeux passionnants pour les DRH que nous sommes !