"Les objectifs de performance évoluent plus vite que les compétences des salariés."
À l'occasion de la présentation de SkillExperience, nouvelle gamme de solutions d'évaluation en ligne, Pierre Berthou, Directeur général de Futurskill Digital (ManpowerGroup), évoquait en ces termes le phénomène devenu central de la vitesse. La vitesse, qui bouscule les compétences des salariés en augmentant leur risque de devenir "obsolètes", qui accroît les carrières discontinues, mouvantes, qui accroît les difficultés de recrutement… et qui invite en conséquence à apporter davantage de précision dans divers processus RH, du recrutement à la gestion des mobilités en passant par la détection de potentiels. De précision, et de rationalité ?
La tendance n'est certes pas à une "algorithmisation" d'un recrutement impersonnel et mécanique, notent les observateurs. Reste que l'enjeu de l'optimisation, côté entreprise, est de taille : la mauvaise gestion des compétences coûterait chaque année 2 milliards d'euros aux entreprises françaises. Et pourtant, poursuit Pierre Berthou, le challenge n'est pas mince : "les problématiques RH se complexifient"…
"Nous avons réhabilité la filière RH"
"La performance, c'est choisir la bonne personne au bon endroit", explique Claude Duchemin, pilote de l'Emploi et de la Mobilité à la DRH de GrDF et utilisateur de la solution d’évaluation de la personnalité. "Alors que nos métiers changent, et changent de plus en plus, nous avons dû réinterrogé l'ensemble de nos pratiques en termes de gestion des compétences", précise Claude Duchemin. Par l'innovation, la démarche de construction des compétences GrDF s'est ainsi reposée sur la rationalisation des besoins en compétences et sur l'anticipation, dans des marchés pourtant de courts à très courts termes.
Comment mettre en oeuvre un tel chantier ? "Nous avons réhabilité la filière RH", poursuit Claude Duchemin, qui explique avoir dû convaincre de la nécessité de réfléchir à la réallocation des ressources, en trouvant par exemple des passerelles entre business units : "la vraie fonction RH, c'est celle qui s’appuie sur des indices dans l’incertitude !" Des indices non pour automatiser, mais pour mieux apparier les compétences :
Nous avons voulu anticiper, au-delà du jeu de l’offre et de la demande. Nous nous sommes donc construit une typologie de plusieurs grands types compétences, propres à GrDF et déclinées dans chaque famille métier(profils "fiables", "contributeurs", "adaptables", ndlr) […]. Nous nous sommes aussi dotés d'un outil de gestion des besoins en compétences qui établit, à l'horizon de quelques mois, des tendances pour identifier des poches de besoins. Même sans donner de certitude, ces tendances sont extrêmement importantes, parce que c'est sur elles que peuvent se bâtir des logiques de modularité.
Recruter des femmes techniciens de maintenance : c'est possible
En parallèle de la création d'un langage commun autour des compétences, le chantier demandait en parallèle de pouvoir évaluer, au regard de cette grille, les compétences de potentiels futurs collaborateurs – candidats externes ou en mobilité interne. "Nous cherchions des outils adaptables à nos propres enjeux, et pouvant être déployé, par l'expérimentation, de manager à manager", précise encore Claude Duchemin, qui a utilité les test psychométriques dans une démarche plus globale de "diversification du recrutement".
Un exemple ? Comment aboutir à l'objectif de 25% de femmes dans les métiers techniques de l'entreprise alors qu'en France, seul un technicien de maintenance formé sur 1 000 est une femme ? Il s'est ici agi d'entrer dans une logique de détection de potentiels et de se fixer un objectif de parité dans les promotions de "sourcing", cette étape – de plus en plus stratégique – consistant à aller "chasser" des compétences. Et pour obtenir 50% de femmes dans les candidats potentiellement recrutés (!), il a fallu ouvrir son horizon, se tourner vers des femmes d'agriculteurs, des contremaîtres de PSA et d'autres cursus où l'on peut entrer sans "compétence gazière", propres à GrDF, mais qui, couplés à des formations complémentaires, parviennent à combler le besoin en compétences. Des parcours complexes et peu intuitifs qui nécessitent d'avoir, en amont, finement défini ces besoins pour déterminer sur quelles compétences devait, "au fond", se faire le recrutement : la boucle est bouclée…
> Lire aussi Pénuries de talents 2014 : les difficultés de recrutement au plus haut, l'enjeu RH mal cerné
La personnalité, au coeur du recrutement
Frédéric Buono est directeur du marché recrutement à Manpower, où l'évaluation est effectivement de retour dans le process de recrutement, huit mois après la mise en place des outils d'évaluation et la formation des consultants en recrutement à l'utilisation de ces nouveaux tests. Pour lui, il était important d'apporter de la "valeur ajoutée et du qualitatif" dans le procédé de recrutement, avec un outil "à la carte", et axé, notamment, sur la personnalité. Même son de cloche du côté d'Experis Executive (ManpowerGroup), co-organisateur de l'événement : Laurent Lethuillier, Directeur Executif, précise que le cabinet de recrutement de cadres supérieurs et dirigeants "utilise cet outil dans le cadre de son processus de recrutement, en amont de l’entretien candidat, ou à part entière dans le cadre de son offre Assesment center".
Dans des économies de plus en plus tournées sur le service et les interactions (entre collaborateurs, avec un client), la personnalité est devenue centrale, et est un "moyen de plus en plus utilisé pour évaluer la compétence des candidats", analyse André Durivage, CEO d'EPSI, société d'édition de tests en ligne ayant participé à l'élaboration de SkillExperience. Ce professeur en psychologie note par ailleurs que la personnalité, davantage que les compétences dures, est un "invariant" : repasser un test de personnalités six ans après ne donnera pas de résultats différents. "Un mauvais profil de personnalité, c'est donc – et à long terme ! – mauvais pour l’organisation et le candidat… C'est donc devenu crucial."
Testing de masse vs. tradition qualitative
Reste à adapter les outils d'évaluation aux besoins de chaque entreprise, les caractéristiques de personnalité étant extrêmement différentes d'un secteur à un autre, d'une culture d'entreprise à une autre, d'un métier à un autre, d'un niveau de qualification à un autre… José Miguel Sepulveda, psychologue du travail et consultant en outils psychométriques (FuturSkill Digital), rappelle que l'offre de services s'est développée assez récemment en France, d'abord dans les années 1990 via la méthode de l'entretien et la graphologie, puis vers les inventaires de personnalité.
L'explosion, ces cinq dernières années, d'outils standardisés, s'est aussi accompagnée, en France, d'une professionnalisation de l'offre… Qui aboutit, complète André Durivage, à la professionnalisation progressive des recruteurs, qui "s'habituent à l'analyse des données et à leur mise en regard avec les besoins en compétences des entreprises et avec l’environnement".
José Sepulveda note par ailleurs que la France se caractérise par une approche plus qualitative, contrairement à une tradition anglo-saxonne historiquement construite sur le testing de masse et l'analyse chiffrée. Le test d'évaluation fait aujourd'hui davantage office d'une "information en amont d’un entretien, lequel pourra alors se concentrer sur la construction d'un choix ou d'un parcours professionnel, soit sur le coeur du recrutement…". Le recrutement, dès lors, peut se co-construire avec le candidat, et celui-ci repartir avec des résultats permettant d'objectiver sa personnalité et ses "soft skills".
> Lire aussi "Révélez vos talents" (José Sepulveda) : Les outils psychométriques, plus fiables que le CV ou le diplôme ?
L'interculturel et le mobile, nouvelles frontières
La tendance n'est même plus à la digitalisation des offres, "95% des outils psychométriques sont déjà en ligne", observe José Sepulveda. Et si les débats scientifiques sur la validité des tests sur ces formats sont encore indécis, l'orientation mobile et tablette semble incontournable. D'ici là, l'online permet une mondialisation de l'accès aux outils d'évaluation : c'est le cas dans des groupes tels L'Oréal ou Total, dont les serious games, explique le spécialiste Olivier Mauco, permettent de "détecter des talents capables de s’épanouir dans un contexte professionnel spécifique" en les "acculturant", au coeur des process de l'entreprise.
Pour une multinationale, constate José Sepulveda, la personnalité peut précisément être "isolée, adaptée, et retranscrite dans un langage commun", … et donc être évaluée dans des contextes intercuturels. La personnalité n'est d'ailleurs pas la seule à être évaluée, et donc comparée : la méthodologie d'assessment center intègre les compétences-métiers ou encore, c'est le cas de SkillExperience, les capacités de raisonnement, les valeurs, la motivation.