Selon une étude de l’institut Gallup, en 2012, seuls 9% des salariés s’estiment « engagés » dans leur entreprise, 65% travailleraient dans une relative neutralité et 26% des salariés se sentent activement désengagés. Dès les années 1960, les recherches RH, notamment avec Douglas McGregor, se penchent sur le sujet : s’il y a une problématique d’engagement dans l’entreprise, c’est dû à un problème de management.
Pour engager, responsabiliser
La Fondation ManpowerGroup soutient des projets dans le domaine de l’accès à l’emploi des jeunes et de l’échec scolaire, mais elle encourage également l’engagement des salariés hors de l’entreprise sur des projets à vocation sociale : « tous se réjouissent d’avoir pu s’engager dans des missions d’intérêt général dont les effets sont visibles, tous ont trouvé cela gratifiant de contribuer de manière réelle et effective. Pour l’entreprise, c’est important de savoir que des salariés trouvent le moyen de s’épanouir, la motivation et la reconnaissance« , explique Bernard Nebout, directeur de la Fondation ManpowerGroup. Selon lui, la notion d' »entreprise libérée » fait partie « de ces concepts qui permettent de réfléchir à une nouvelle entreprise, de nouvelles organisations, de nouvelles manières de percevoir la création de la valeur, au plus près des clients… et de ceux qui répondent à ces clients ».
Liberté, confiance, autonomie, écoute et responsabilisation : derrière ces mots, qui ne sont pas sans rappeler les valeurs promues par les RH dans une entreprise comme Netflix, c’est une nouvelle façon de gérer les organisations ou de libérer l’entreprise qui se développe, et qui trouve un certain écho en France, notamment sous l’influence d’Isaac Getz, professeur à l’ESCP. L’idée : libérer les énergies du management et de la bureaucratie pour influencer la stratégie, avec un organigramme plat dans lequel le rôle de chacun est à réinventer.
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Des leaders à tous les étages
Les fonctions de managers ne sont plus basées sur le contrôle ou l’autorité mais deviennent des fonctions supports. Tout le monde peut devenir un leader, l’entreprise libérée (ou « Freedom Inc. ») offre non seulement une écoute mais aussi des opportunités d’évolution aux salariés. Résultat : les employés osent et proposent des améliorations voire des innovations.
Le mécénat de compétences peut aussi permettre de donner aux managers en perte de vitesse ou en souffrance un nouveau souffle, estime Bernard Nebout. Il explique :
« C’est une réflexion que les entreprises mènent avec leur service RH : comment élargir le champ du mécénat de compétences et l’intégrer à une politique RH d’entreprise de façon à automatiser le dispositif. L’idéal serait que le mécénat ne soit pas une parenthèse dans la carrière d’un collaborateur mais que cela soit un élément de parcours permettant de monter en compétence ».
Cette vision du leadership émergent repose sur un management par le « pourquoi » et non par le « comment », explique Isaac Getz. Motiver les actions, penser collectivement les stratégies, communiquer sans relâche sur la vision et la stratégie de l’entreprise sont donc les ferments de l’entreprise libérée.
Co-construire la stratégie de l’entreprise
Les entreprises pyramidales sont coûteuses et peu flexibles. L’entreprise libérée se veut plus proche des opérationnels et de ceux qui dégagent de la valeur ajoutée. L’idée : miser sur le fait que le salarié possède une véritable connaissance du produit et des processus de fabrication.
Sur le terrain, Jean-François Zorbist, dirigeant du leader mondial en fonderie d’alliages cuivreux, Favi, a mis en place avec les salariés ces principes pendant 30 ans avant de passer la main en 2009, à son successeur qui poursuit cette transformation avec succès. Comment ? En réduisant les contrôles et les niveaux hiérarchiques, en renversant l’organisation pyramidale de l’entreprise. Résultat : des employés qui comprennent en tout cas qu’ils travaillent pour le client et non plus pour le responsable hiérarchique. La première pierre, aussi, de l’engagement.
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Vers le « changement de culture » ?
Pour le biscuiter Poult, lauréat du trophée Espoir du Management en 2013, libérer l’entreprise a eu pour résultat concret la réduction du turnover et de l’absentéisme et une croissance à double chiffre. Poult, Favi, Chronoflex, les exemples de succès connus et reconnus sont en fait plus nombreux qu’il n’y paraît. Mais il s’agit surtout de PME… Toutes les entreprises peuvent-elles se libérer de la bureaucratie et de la hiérarchie ?
Le changement de culture est le pas le plus difficile à faire : il faut tout réinventer, tout aligner. « Se libérer », c’est ainsi possible grâce à deux ingrédients essentiels : la volonté et le temps, disent les praticiens du modèle. Pour réussir : il faut ainsi quelqu’un qui porte ce projet et… de la patience. L’expérience de Jean-François Zorbist montre que cela n’empêche pas non plus les entreprises de grandir : il faut garder en tête que chaque « mini-usine », comme un autre chantre de la dé-hiérarchisation, Frédéric Lippi, appelle ses unités d’organisation, est une communauté avec des valeurs partagées et que ces communautés peuvent se répliquer.
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Enfin l »entreprise libérée est synonyme de grande stabilité dans le management : travailler sur l’humain, c’est travailler sur la stabilité et donc le long terme…Sortir du règne de l’urgence, un impératif ? Pour Frédéric Lippi, cité par Le Monde :
« Changer de culture est une démarche longue, or beaucoup d’entreprises attendent des résultats en trois mois. L’entreprise libérée, c’est intellectuellement séduisant, mais il faut s’accrocher... »