L’actu
Le chômage est reparti « très nettement à la hausse » en septembre. Pour le chômage de catégorie A, qui concerne près de 3,5 millions de demandeurs d’emploi sans aucune activité, la hausse sur un an va jusqu’à atteindre +4,3%.
Malgré une situation de l’emploi critique, il existe des postes non pourvus et « dont personne ne veut ». C’est que ce vient rappeler le baromètre Jobintree, publié dans la foulée de ces chiffres, et qui se penche sur les métiers les moins convoités. Illustration : quand les annonces pour un poste de chargé de communication attirent en moyenne plus de 2 000 candidatures, celles de décolleteur (métier de fabrication de pièces en série pour l’industrie) n’en reçoivent que 5. D’après ce baromètre, des difficultés de recrutement s’observent principalement sur les métiers d’ouvriers spécialisés dans l’industrie ou le bâtiment, dans les professions médicales ou paramédicales (kinésithérapeutes, ergothérapeutes…) ou encore dans l’informatique. Selon l’enquête Pénurie de talents 2014, ce sont plus globalement 36% des employeurs français qui signalent des difficultés à pourvoir des postes.
Les enjeux
Ce paradoxe entre chômage persistant et difficultés de recrutement, Pôle emploi en faisait le constat le 23 octobre dernier, dans un « hangout » consacré aux diverses solutions mises en oeuvre pour l’enrayer. C’est que les raisons de la pénurie sont multiples, comme l’expliquait récemment David Delong, consultant et expert en RH, lors du webinar « Closing the skills gap », organisé par la Havard Business Review et Manpower : les départs à la retraite, des formations qui ne répondent pas suffisamment aux besoins des employeurs, notamment en raison de l’évolution rapide des compétences demandées et d’une « révolution des métiers », mais aussi le manque de vocation, des salaires peu attractifs, des offres d’emploi en région qui impliquent une certaine mobilité et un ensemble de réticences assez varié.
On peut envisager la pénurie sous l’angle « métier » et comprendre ainsi qu’il manque cruellement de décolleteurs, d’analystes de données ou d’imprimeur 3D… Mais l’on se détournerait d’une facette stratégique du problème en oubliant que les besoins en compétences, temporairement ou plus durablement non pourvus, sont des besoins qui peuvent se penser à l’échelle d’un bassin d’emploi. L’enquête Besoin en Main d’Oeuvre de Pôle emploi met ainsi à disposition des chiffres qui ajoutent cette dimension territoriale et affinent les connaissances, localisées, sur « les difficultés rencontrées par les employeurs en matière de recrutement ». Une invitation, parmi d’autres, à reterritorialiser la lutte contre les difficultés de recrutement.
L’enjeu est souvent déjà à l’agenda des RH. Emilie Bourdu, co-auteur du rapport L’industrie jardinière du territoire. Ou comment les entreprises s’engagent dans le développement des compétences, invite néanmoins les entreprises à davantage s’ouvrir sur leur territoire afin de répondre à leurs difficultés à trouver les compétences dont elles ont besoin. Il s’agit de « diversifier [leur] “vivier”, via des personnes qui se trouvent dans l’écosystème local, notamment les jeunes, les personnes peu qualifiées ou les demandeurs d’emploi (…) [et plus généralement] de mieux connaître l’ensemble des acteurs de la formation et de l’emploi, notamment publics, qui se sont de plus en plus déployés dans une logique territoriale. [Cela leur permet] de collaborer avec ces acteurs dans des projets liés aux compétences, que l’on ne pourrait pas construire seuls ».
L’enjeu, donc : faire travailler les acteurs publics, privés, locaux, régionaux et nationaux en bonne intelligence pour parvenir à mieux faire « matcher » besoins liés à l’activité et réalité des tissus économiques locaux.
Et pour vous ?
En une vidéo
http://youtu.be/KZ9TYZe2eJY?t=38m15s
Guy Mamou-Mani, président du Syntec numérique, premier syndicat professionnel numérique français, évoque l’initiative Pen Breizh.
Conclu en 2013, ce pacte permet d’une part aux entreprises bretonnes des secteurs des technologies et de la communication de trouver les bonnes compétences pour leur permettre de se développer. En parallèle, il vise à orienter les demandeurs d’emploi vers des secteurs porteurs. Fruit d’un partenariat entre Pôle emploi, ManpowerGroup, le Fafiec (organisme paritaire collecteur agréé qui finance la formation professionnelle) et Bretagne Développement Innovation, l’agence de développement économique régionale, son but est donc de de former sur mesure, en apportant à un public-cible des compétences en adéquation avec les besoins réels des entreprises locales.
Les données
Les chiffres sont issus de l’enquête Pénurie de talents 2014 (ManpowerGroup) et de l’étude La Révolution des Métiers :
- 36% des employeurs dans le monde signalent des difficultés à pourvoir des postes ;
- 60% des entreprise françaises éprouvant des difficultés à trouver les compétences dont ils ont besoin en ressentent un impact sur leur activité ;
- 40% des employeurs français déclarent pourtant ne pas s’être emparés du sujet ;
- 90% des dirigeants anticipent des changements majeurs dans les métiers au sein de leurs effectifs dans les 5 années à venir ;
- 70% des dirigeants français déclarent manquer des compétences nécessaires au développement de leur entreprise.
Les bonnes pratiques : focus sur la Basse-Normandie
Le taux de chômage dans chaque département de Basse-Normandie, (9,2% dans l’Orne, 8,2% dans la Manche et 9,5% dans le Calvados) se situe légèrement en dessous de la moyenne nationale de 9,7%, mais à un niveau qui reste très élevé. L’enquête Besoin en Main d’Oeuvre, en Basse Normandie, offre des données plus fines sur les évolutions du marché de l’emploi et ses perspectives :
- 16,9% des établissements bas-normands prévoient au moins une embauche en 2014 ;
- En Basse-Normandie, le nombre de recrutements envisagés progresse de près de 6 % cette année. Il atteint son plus haut niveau depuis 2010 : 32 587 projets ;
- Quasiment tous les secteurs sont concernés par la hausse. Elle est conséquente dans l’industrie manufacturière (+22,6 %) et dans la construction (+20,3 %). A contrario seul le commerce enregistre un (léger) recul (-1,5 %).
7 intentions d’embauche sur 10 se concentrent dans les activités de services. Malgré cette dynamique dans le tertiaire, et notamment dans la banque et l’assurance, plus d’un quart (28,6%, en légère baisse) des projets de recrutement étaient jugés difficiles en 2014 en Basse-Normandie… Comment les acteurs publics et privés se mobilisent-ils pour remédier à ces difficultés ? Zoom sur quelques bonnes pratiques :
1. Disposer de données fines sur les besoins et les tendances en recrutement dans les territoires
En complément de l’enquête Besoin de Main d’Oeuvre, Pôle emploi propose une météo de l’emploi pour chaque région, détaillant en temps réel les besoins dans chaque secteur en fonction des offres d’emploi disponibles dans sa base de données. Un authentique « observatoire régional » qui vise à mieux rendre compte des besoins réels… jusqu’à en faire la première pierre des politiques pour l’emploi ?
2. Récompenser et accompagner l’innovation
La Mission Régionale pour l’Innovation de l’Action de Développement Economique (MIRIADE) organise chaque année depuis deux ans le concours régional de l’innovation, en partenariat avec Forces50, Orne Développement et Synergia. Destiné aux porteurs de projets bas-normands, le concours a pour objectif d’encourager l’innovation, de valoriser les jeunes équipes porteuses de projets et de promouvoir produits, organisations ou services innovants, technologiques ou non.
La quinzaine de l’innovation, qui vient de se dérouler ce mois-ci, est également l’occasion de mettre les projecteurs sur les entreprises ou collectivités de Basse-Normandie en tant qu’employeurs insérés dans un écosystème dynamique et créatif… L’objectif : faire découvrir leurs métiers, produits et services et peut-être susciter des vocations.
Ces deux initiatives permettent non seulement d’ouvrir les entreprises sur leur territoire en travaillant l’attractivité de leurs métiers pour se rapprocher de potentiels candidats, mais elles rappellent aussi que les entreprises mènent de vraies stratégies de développement à l’échelle locale.
3. Développer des partenariat public-privé pour anticiper les évolutions du marché du travail et faciliter les recrutements
La Direction Régionale Ouest de Manpower et Pôle emploi Basse-Normandie viennent de signer une convention de partenariat pour trois ans, visant à anticiper les évolutions du marché du travail, à faciliter les recrutements des entreprises et le placement des demandeurs d’emploi en leur permettant d’acquérir les compétences requises par les entreprises. Cette convention fait partie d’un accord cadre national qui unit les deux parties.
Manpower et Pôle emploi s’engagent ainsi, en Basse-Normandie, à :
- Renforcer la collaboration de leurs deux réseaux pour mieux anticiper les évolutions prévisibles du marché du travail dans les bassins d’emploi bas-normands ;
- Développer le transfert des offres d’emploi et améliorer leur suivi pour faciliter le recrutement ;
- Développer des actions communes notamment sur des publics cibles (personnes handicapées, licenciées pour motif économique, femmes, seniors…) et favoriser la sécurisation des parcours professionnels.
4. Miser sur la formation tout au long de la vie
La Région, en partenariat avec Pôle emploi, vient de créer un ESPace d’Orientation et d’Intégration Régional (ESPOIR), qui propose des formations tout au long de la vie dans une démarche d’orientation professionnelle. La Région achète directement des places au sein d’organismes de formation : 31 sites et antennes répartis sur l’ensemble du territoire bas-normand. Elle prend également en charge la rémunération des stagiaires non indemnisés par Pôle emploi.
C’est donc l’approche par compétences qui est plébiscitée ici : l’identification des besoins précis des employeurs, à la fois temporaires (saisonniers ou non) et permanents, repose sur les compétences plutôt que sur les profils.
***
> Les autres actions mises en avant par Pôle emploi :
- un accompagnement RH des entreprises lorsque, « pour satisfaire leur besoin de recrutement« , celles-ci ont besoin de mettre en oeuvre au préalable des actions de formation ;
- une plus grande spécialisation des conseillers ;
- de nouveaux services en ligne et l’utilisation des Big Data pour un marché de l’emploi plus transparent, des démarches « pragmatiques » de recrutement par simulation, etc.
Lire aussi Pôle emploi en quête de la donnée, ce Graal du recrutement prédictif