« Les négriers de l’Intérim » : la Une d’un grand quotidien paru hier n’est pas agréable à lire. De quoi parle-t-on ? D’un phénomène qui s’est amplifié ces derniers mois et qui consiste à recruter en France, via des sociétés d’intérim établies principalement en Europe centrale, des travailleurs venus entre autres de Roumanie, de Pologne ou de Bulgarie. Ce « détachement » de travailleurs d’un pays de l’Union européenne à un autre est parfaitement légal : il est encadré par une directive européenne depuis 1996. Néanmoins, il pose aujourd’hui un certain nombre de problèmes auxquels il convient d’apporter une réponse rapidement.
Tout d’abord, l’Europe de 1996 n’était pas celle d’aujourd’hui : la Roumanie et la Bulgarie sont membres de l’Union européenne depuis 2007, la Pologne depuis 2004.
Or, ces pays ont des systèmes de protection sociale beaucoup moins protecteurs que ceux des Etats membres « historiques » : de facto, le poids des charges sociales et patronales est sans commune mesure – et au final, le coût horaire brut du travail est jusqu’à 30% inférieur au nôtre. Certaines entreprises françaises, à forte intensité de main d’œuvre, confrontées à une érosion de leurs marges et à une concurrence de plus en plus mondialisée, sont donc tentées de gérer leurs besoins de flexibilité en faisant appel à ces ressortissants de pays de l’Union européenne. Il y a donc un problème de déséquilibre structurel au sein du marché du travail européen, qui repose sur une directive qui n’est plus en phase avec la réalité économique de l’Union.
L’autre raison de mon malaise, à la lecture de ce quotidien, tient au récit qui est fait des conditions de vie de ces travailleurs détachés, en mission pour quelques semaines ou quelques mois en France, et dont l’unique et légitime aspiration est de rapporter dans leur pays d’origine le maximum d’argent afin de subvenir aux besoins de leurs familles. Là encore, c’est une Europe à deux vitesses qui cohabite, avec toutes les tensions sociales, politiques et malheureusement raciales que cette cohabitation induit. Enfin, il y a la fraude, évidemment inacceptable, et qui consiste à déduire du salaire de ces travailleurs des « frais » de déplacement ou d’hébergement, ou encore à les faire travailler au-delà des heures supplémentaires autorisées par la loi.
« Nous œuvrons pour rendre l’emploi flexible responsable et soutenable »
J’ai décidé il y a plusieurs mois déjà, de ne pas répondre aux demandes de certains de nos clients en matière de « travailleurs détachés » au sein de l’Union européenne. Cela aurait été facile : nous avons des filiales dans tous ces pays, et je le répète, leur demande est tout à fait légale. Je leur ai aussi expliqué les raisons de mon refus.
En effet, ces pratiques ne correspondent ni à l’idée que je me fais de notre métier, ni à l’histoire du Groupe que je préside. Depuis plus de cinquante ans, Manpower accompagne les entreprises de façon responsable dans la gestion de leur flexibilité, nécessaire à leur croissance. Nous sommes leur partenaire. Et depuis plus de cinquante ans, Manpower innove en matière de protection sociale : nous avons été les premiers à instituer la fameuse « prime de fin de mission » pour les intérimaires ainsi que le droit au congé dès la première heure de travail, nous sommes à l’origine de la première loi réglementant le travail temporaire, nous avons lancé le Droit individuel à la formation pour nos intérimaires avant qu’il ne soit généralisé par la loi… Depuis cinquante ans, nous œuvrons pour rendre l’emploi flexible responsable et soutenable : c’est notre conception du travail temporaire, tout autant que notre fierté.
Par Alain Roumilhac, Président de ManpowerGroup