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Julia Cagé (Harvard) – La France doit faire le choix de la valeur ajoutée

« La France ne crée pas assez d’emplois qualifiés », selon Pierre-Antoine Gailly, président de la CCI de Paris dans une interview à la Tribune. Si le redémarrage de l’activité économique doit être salué, « les bonnes performances trimestrielles ne s’enchaînent pas ». Pierre-Antoine Gailly souligne que les secteurs les plus dynamiques sont « sans surprise ceux qui sont tournés vers l’étranger et qui s’inscrivent dans la dynamique mondiale […], qui profitent à plein de l’effervescence économique des pays émergents ».

Si l’emploi progresse, faiblement, c’est « essentiellement dans l’intérim. Par ailleurs, il faut bien admettre que les entreprises les plus dynamiques n’ont pas une activité à forte intensité de main d’œuvre. » Les entreprises qui embauchent opèrent, en effet, surtout dans des secteurs ayant peu recours à l’emploi qualifié :

  • les services aux entreprises et à la personne ;
  • l’hôtellerie et de la restauration, dont l’activité est stimulée par l’arrivée de touristes des pays émergents.

Ainsi, la CCI constate une « moindre qualification des embauches […], raison pour laquelle des efforts supplémentaires doivent être faits pour améliorer la formation, via notamment l’apprentissage ». Pour ce faire, il est encore nécessaire de dépasser des blocages français car, « parce que l’apprentissage est assimilé au travail manuel, il n’a pas encore le succès qu’il mériterait ». Or en Allemagne, pays dont le taux de chômage global est plus faible et dont l’emploi des jeunes est moins problématique qu’en France, « l’apprentissage est une voie choisie par un jeune sur deux ».

La question de la qualification des embauches s’inscrit dans une perspective plus large, macro, structurelle : celle de la valeur ajoutée, sur laquelle Julia Cagé (enseignante à l’université de Harvard et à l’Ecole d’économie de Paris) a récemment publié une tribune dans le même quotidien.

En guise d’introduction, un constat quelque peu dramatique :

« Les discours répétés sur la désindustrialisation et le déclin de la France sont dangereux car ils sont faux et font le choix de la facilité en touchant aux peurs les plus profondes des citoyens. Oui, la part de l’emploi industriel dans l’emploi total est en train de baisser. Oui, la France est en train de se désindustrialiser. Mais non, ce n’est pas grave. C’est tant mieux. »

Puis la chercheuse de pointer le doigt sur nos réelles lacunes :

« Ce qui est grave aujourd’hui, c’est le retard du pays en matière d’innovation. La France n’invente pas et s’obstine à rester spécialisée dans des secteurs anciens plutôt que de faire le choix de la haute technologie. C’est l’un des rares pays de l’OCDE dont la part de la R&D dans le PIB a reculé au cours des quinze dernières années ».

Avant de tordre le cou aux dispositifs anti-délocalisations :

« Si l’Allemagne se porte mieux que nous, c’est en partie parce qu’elle a délocalisé une part de sa production tout en maintenant sur les sites nationaux les étapes à haute valeur ajoutée. La France doit avoir le courage de faire ce choix de l’outsourcing, parce que c’est celui de la valeur ajoutée et de l’emploi. »

La chercheuse s’appuie sur une tendance forte de l’économie aujourd’hui pour étayer son propos, avant de s’appuyer sur des éléments devenus banals dans notre consommation :

« Dans un système mondialisé de l’innovation, celui qui capture la valeur, c’est celui qui innove, pas celui qui produit. Une étude américaine a montré que les États-Unis capturaient la plus grosse partie de la valeur ajoutée produite par l’iPod, la Chine une toute petite partie seulement. Il en va également ainsi des ordinateurs ou de vos Nike préférées ».

Françoise Gri, Présidente de ManpowerGroup France et Europe du Sud, précisait cet élément sur son blog en décembre 2010 en nous rappelant que

« un petit tiers des emplois nécessaires à la production de l’Ipod est américain, mais comme les travailleurs américains sont à la fois mieux payés et beaucoup plus qualifiés, il en résulte que la production mondialisée de l’Ipod génère deux fois plus de masse salariale aux Etats-Unis… qu’en Chine ! ».

Elle concluait ainsi :

« Voilà une formidable et percutante illustration de la difficulté pour un vieux pays comme la France à passer d’un modèle simple et direct (où production industrielle et emplois allaient de pair pendant des décennies) à un modèle infiniment plus complexe, qui doit mêler productions pointues, car liées à la recherche et à l’innovation, et créations d’emplois par des activités de service à valeur ajoutée…ou pas ».

 

>>> Pour en savoir +

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