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Les jeunes et l’emploi : « Lutter contre cet échec collectif, c’est la responsabilité de tous » (C. Vulliez)

Ancien membre du Haut Conseil de l’Éducation, directeur d’HEC et de la Chambre de commerce et d’industrie (CCI) de Paris-Ile-de-France, Christian Vulliez préconise changement profond : la fin du mépris mutuel qui a longtemps caractérisé les relations entre le monde éducatif et le monde économique. Son mot d’ordre : « pour créer des emplois, il faut créer des employeurs ». En exclusivité pour l’Atelier de l’emploi, il explique son plaidoyer pour l’esprit d’entreprise. 

 

L’Atelier de l’emploi : Y a-t-il urgence pour l’emploi des jeunes ?

Christian Vulliez : Les 150.000 « décrocheurs », comme on les appelle maintenant, doivent être une priorité absolue et la première cible dont il faut s’occuper en matière d’insertion. Comment peut-on laisser sortie du système éducatif 15 à 20 % des jeunes d’une génération, sans qualifications, ni diplômes ? C’est la responsabilité de tous les acteurs d’une société de lutter de manière concertée contre cet échec collectif. Cela exige du temps, sûrement, mais aussi de nouvelles approches, méthodes et pratiques. Il est moralement insoutenable de se satisfaire du statu quo.

Le monde qui est le nôtre évolue et change sans cesse, encore plus rapidement aujourd’hui qu’hier. De tout temps la jeunesse est un état qui allie anxiété et incertitude mais aussi passion, motivation, engagement et goût du risque. Il en sera toujours ainsi.

« Plus de la moitié des jeunes s’insèrent normalement dans le monde du travail, sans qu’on n’en parle jamais »

[encadre]La « génération Y » est arrivée sur le marché du travail. Comment l’action pour l’emploi des jeunes peut-elle la prendre en compte ?

La génération Y, dont « l’e-culture » est le royaume, a conscience de vivre dans un monde exigeant mais aussi plein de possibles et d’opportunités. Plus de la moitié d’entre elle s’insère normalement dans le monde du travail, sans qu’on n’en parle jamais. Pour beaucoup d’autres, il est vrai que cette insertion est plus – voire très – difficile. S’il est exact que beaucoup de jeunes sont encore attirés par la sécurité du secteur public qui, hors de l’éducation, ne créera plus d’emplois en nombre significatif, on n’a jamais observé en France autant de personnes désirant créer « sa petite entreprise » ou devenir « auto-entrepreneur ». C’est un signe nouveau et sans doute une promesse d’espoir pour demain.

« Créer son emploi lorsque l’on ne peut pas en trouver », comme on l’entend souvent, c’est une perspective souhaitable ? 

Créer son emploi, quand on peut le faire, est toujours une démarche positive et valorisante, tant au plan individuel que collectif. C’est sur cette propension nouvelle que le statut de « l’auto-entrepreneur » a été conçu et que sa dynamique s’est développée avec une rapidité étonnante. C’est devenu assez facile en France de devenir « auto-entrepreneur » ou de créer sa TPE ou sa PME, alors que cela était le parcours du combattant, il y a encore une décennie.

Le comportement des français à l’égard de la TPE  ou du « MOI – SA » (je suis moi-même ma société anonyme) se développe naturellement, surtout s’il est encouragé. Attention donc à ne pas ralentir ou briser cet élan nouveau. Le jour où notre pays aura un actif national d’un  million d’entreprises de plus qu’aujourd’hui, une partie de la question lancinante du chômage, et particulièrement de celui des jeunes, aura trouvé des solutions durables.

« Le monde éducatif et le monde économique se sont trop longtemps méprisés »


Les entreprises ont donc un rôle primordial à jouer dans ce que le gouvernement appelle « la bataille pour l’emploi »…

Pour créer des emplois, il faut créer des employeurs. Il faut aussi créer de la croissance. Celle-ci n’est pas le résultat de vœux ou d’incantations. Elle se construit  avec méthode et persévérance, avec des facteurs parfaitement identifiés.  Souvenons-nous des concepteurs ou des avocats du Club de Rome, il y a une vingtaine d’années, qui défendaient l’illusion d’une croissance zéro qui résoudraient, comme par enchantement, les principaux problèmes de nos sociétés.

Aujourd’hui la croissance zéro, nous l’avons. Les problèmes ont-ils disparu ? La croissance, ce sont les entreprises qui la construisent et la font. Toutes les entreprises ont commencé par leur naissance et leur création. C’est pourquoi il faut encourager de toutes les manières possibles l’esprit d’entreprise, notamment en le favorisant dans notre système éducatif, comme le font d’autres pays.

La création du Conseil national éducation économie, « lieu pour réfléchir ensemble aux évolutions des métiers » et le lancement du Comité Sup’Emploi, pour « rapprocher les formations supérieures des besoins économiques », ne sont-ils pas des signes, même tardifs, d’un rapprochement école/entreprise ?

Christian VulliezLe monde éducatif et le monde économique se sont trop longtemps ignorés, voire méprisés, particulièrement dans notre pays. Ce ne fut jamais le cas, avec une telle intensité, dans nombre de pays qui nous environnent. Tant que la croissance économique était au rendez-vous, cette faiblesse n’apparaissait pas en plein jour avec toutes ses conséquences. Aujourd’hui on mesure mieux le coût de cette ignorance et de ce mépris réciproques.

Heureusement de grands progrès, sans doute encore insuffisants, ont été réalisés au cours des deux dernières décennies.

L’Ecole s’est rapprochée du monde du travail : politiques de l’alternance (apprentissage), stages, séquences de découverte de l’entreprise, utilisation, voire recrutement, d’enseignants venant du monde de l’Economie… Et l’entreprise se sent plus responsable de l’évolution des filières d’enseignement à vocation professionnelle : participation aux conseils d’administration ou d’orientation, partenariats ou jumelages, accueil en plus grand nombre de jeunes en formation, etc. Ces évolutions convergentes permettent aussi d’améliorer des pratiques de l’orientation qui demeurent un «  des maillons faibles » du système éducatif français. Il devient chaque jour plus évident que le monde de l’Education et le monde de l’Economie ne peuvent réussir l’un sans l’autre, surtout au regard de l’emploi des jeunes.

Comment concrétiser ce « mariage de raison » ?

La formation continue a fortement contribué à ce rapprochement par le fait de concevoir et de dispenser des programmes professionnalisants qui rejaillissent à leur tour sur le contenu de la formation initiale. Les universités créent des filières « licences pro » ou « master pro ». Tous les lycées professionnels, les BTS ou DUT sont de plus en plus pilotés ou « co-pilotés » dans un partenariat étroit avec les secteurs économiques auxquels ils préparent.

Quant à l’ouverture sur l’Europe ou le monde, elle est d’autant mieux réussie qu’elle associe études et entreprises (stages, échanges etc.). Les pratiques de l’alternance (enfin revivifiées comme dans d’autres pays), l’utilisation utile du numérique, les « Ecoles de la deuxième chance », l’orientation professionnelle dynamisée sont autant d’occasions de partenariat gagnant entre des mondes qui ont vocation à se réconcilier.

« Faisons aussi confiance aux jeunes pour savoir évoluer dans leur activité »

Les « métiers » font leur grand retour. L’apprentissage professionnalisant, est-ce vraiment l’enjeu éducatif de demain ?

« Learning by doing » ou « Je fais et j’apprends » sont une (re)découverte récente qui lie les deux mondes (éducation et économie) et dont l’efficacité est désormais reconnue, y compris par nombre de ceux qui y ont été longtemps opposés par parti pris. Tout simplement parce qu’en matière d’insertion professionnelle des jeunes cette démarche éducative est une réussite, n’en déplaise aux trop nombreux « abstractocrates » de la pédagogie dans notre pays.

Bien sûr des bases de formation solides (à l’école primaire en particulier), comme l’unanimité des professionnels de l’éducation le reconnaissent aujourd’hui, sont plus que jamais nécessaires. Evidemment qu’il est également justifié de former des jeunes à l’esprit critique, à la conceptualisation et à la recherche, mais un grand nombre de métiers exigent une formation professionnelle de qualité, valorisée et non dépréciée ou méprisée.

Forme-t-on suffisamment aux métiers qui recrutent ? Les emplois non-pourvus ne sont-ils pas « l’urgence nationale » ?

Comparons une typographie ou une géographie sérieuses de l’ensemble des emplois proposés aux jeunes par le monde du travail avec le nombre des élèves ou étudiants diplômés des différentes filières de notre système éducatif et l’on verra ou mesurera les différences et les divergences qui sont pour une bonne part à l’origine du chômage des 16 – 25 ans. Le centre de gravité de notre paysage éducatif s’est significativement déplacé depuis trente ans avec l’objectif réussi de 80 % d’une classe d’âge au niveau du Bac. Qui peut dire ou démontrer aujourd’hui que les qualifications professionnelles ont évolué à la même vitesse ?

Le fait que l’apprentissage soit désormais pratiqué dans l’enseignement supérieur a apporté des lettres de noblesse en amont aux formations relevant de cette pédagogie. La création des « lycées des métiers » a incontestablement valorisé et promu la considération de l’opinion pour les métiers auxquels ces pratiques de formation préparent mieux que d’autres. D’autant que les offres d’emplois sont plus souvent au rendez-vous que dans les filières plus classiques. Et faisons aussi confiance aux jeunes pour savoir évoluer dans leur activité, voire en changer, quand celle-ci évolue ou dépend de nouvelles techniques ou technologies. Sans sous-estimer le rôle déterminant de la formation professionnelle continue.

Finalement, n’est-on pas trop absorbé par des objectifs court-termistes, qui empêchent de construire des solutions pérennes pour l’emploi ?

« Regarder l’avenir le change ». Si on ne cherche pas à l’analyser ou à le probabiliser,  on n’a aucune chance de le faire évoluer dans le sens désiré. Chaque homme ou chaque pays a besoin d’une boussole, d’un but, d’une trajectoire, d’une vision personnelle ou collective pour agir. Ce n’est pas parce que l’avenir est incertain (par définition) qu’il faut s’en désintéresser ou l’ignorer. Quand on exerce la responsabilité d’agir aujourd’hui on devrait se sentir obligé de regarder un peu plus loin pour mieux cadrer les actions ou les décisions immédiates. Les décisions de long terme, qui paraissent plus incertaines, sont pourtant celles qui marquent dans la durée une action résolue et laissent, quand elles sont réussies, les meilleures traces.

L’histoire montre que rien n’est stable et que tout évolue toujours, et de plus en plus vite ! Est-ce une raison suffisante pour rester, à attendre, l’arrivée de l’équilibre idéal qui suivra ? Evidemment non. Encore faut-il réfléchir et préparer demain…

***

L’Atelier de l’emploi remercie vivement Christian Vuillez de sa disponibilité et de son engagement.

 

LesJeunesEtLEmploi_couv

Les jeunes et l’emploi : l’obligation de reconstruire

(Collection La nouvelle société de l’emploi de la Fondation ManpowerGroup, éd. Eyrolles), paru le 10 octobre

Christian Vulliez, diplômé de HEC et de l’IEP de Paris, membre du Haut Conseil de l’Éducation (HCE) de 2006  à 2013, a dirigé HEC (1975-1984) et la CCI de Paris-Ile-de-France. Créateur ou concepteur de plus d’une vingtaine d’établissements ou de programmes éducatifs en France et dans le monde, il exerce des fonctions de conseil auprès de grands établissements en France et à l’étranger ainsi qu’auprès d’organismes internationaux. Christian Vulliez est par ailleurs membre du Conseil de surveillance du Monde.

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