EN DATA. Nos élites sont-elles en train de fuir l'Hexagone pour des contrées plus accueillantes ? C'est ce que laisse entendre une étude Linkedin qui relance, depuis quelques jours, la grande peur de la fuite des cerveaux. Pourtant, derrière ces chiffres se cache une réalité plus complexe. Analyse.
Publiée le 11 août 2015, l'étude utilise la base de données fournie par ses 380 millions d'utilisateurs et liste les 20 pays présentant la plus forte activité migratoire. Selon elle, en 2014, la France enregistre plus départs que d'arrivée : avec un solde migratoire de -0,2%, elle se situe… tout en bas du tableau, aux côtés de l'Inde (-0,23%), de l'Italie (-0,19%) ou du Royaume-Uni (-0,12%). En tête de classement, les Émirats Arabes Unis (+1,89%) et la Suisse (+0,9%). Faut-il s'en alarmer ?
En 2014, les membres de Linkedin ont été un peu plus nombreux à quitter la France qu'à s'y installer
Un exode inquiétant ? Si le chiffre est à relativiser du fait de la qualité des données – le site ne permettant pas d'établir avec certitude la nationalité de ces migrants – certaines personnes y voient l'expression d'une tendance de fond et un signe inquiétant de la perte d'attractivité de l'Hexagone. Cela n'est pas sans rappeler le tonitruant "Barrez-vous !" de Felix Marquardt, spécialiste de l'appel à l'exil, et de son acolyte, le journaliste de Canal + Mouloud Achour. En 2013, tous deux s'inquiétaient que "la France ait toujours été un pays où les gens rêvaient de s'installer. Pas une terre qu'on voulait quitter".
Selon le réseau social, le phénomène est lié à l'émergence de nouveaux métiers et à l'apparition d'une génération d'entrepreneurs que la pression fiscale pousserait à l'expatriation. Une explication qui ne peut s'appliquer à la France qu'avec une certaine retenue puisque, selon une étude réalisée par l'Association pour la gestion du régime de garantie des créances des salariés (AGS), la Caisse des Français à l'Etranger (CFE) et Europcar, seuls 18% des travailleurs français à l'étranger sont des créateurs d'entreprise, la grande majorité étant employés dans des entreprises locales (50%).
La fuite des cerveaux, un fantasme français ?
D’autres études contredisent les conclusions de Linkedin. La fuite des cerveaux est un sujet récurrent dans la sphère politique : en avril 2014, Luc Chatel, député Les Républicains de la Haute-Marne, demandait la création d'une enquête parlementaire sur la désertion des "entrepreneurs, jeunes diplômés, créateurs d’entreprise, artistes". L'enquête réalisée en octobre 2014 par Yann Galut, député PS du Cher, qui concluait :
"Non, il n'y a pas d'exode massif : en dépit de leur augmentation, les chiffres de l'émigration française restent modestes, aussi bien en comparaison internationale que sur le plan démographique."
Le ministère des Affaires étrangères souligne lui aussi que les chiffres sont, finalement, assez peu significatifs. Si le nombre de Français à l'étranger est bel et bien en hausse depuis quelques années (1,68 million en 2014 soit 2,3% de plus qu'en 2013 ), selon les chiffres de l'ONU rapportés par la CCI Paris, la France reste loin derrière le Royaume-Uni, l'Allemagne ou même l'Italie.
Derrière la fuite des cerveaux, l'attrait naturel de faire des études à l'étranger ?
Certes, l'expatriation concerne de plus en plus les étudiants – et inquiète quand il s'agit des plus brillants d'entre eux. Cependant, pour cette population, les départs sont compensés par une immigration de niveau équivalent : les diplômés de l'Ecole Polytechnique sont ainsi plus nombreux à résider à l'étranger (15% en 2013 contre 10% en 2004) tandis que le pourcentage d'X venus d'autres pays augmente en proportion (10,8% en 2014 contre 5,2% en 2004). Après tout, Paris figure bonne première dans le classement des 10 meilleures villes où il fait bon être étudiant, selon le QS University Index.
De plus, ces flux migratoires sont le résultat de véritables politiques de mobilité étudiante comme le programme Erasmus qui a pour objectif de permettre aux futurs diplômés de valoriser leur cursus et d'acquérir davantage d'autonomie, tout en intensifiant la coopération et la compétitivité internationale. Difficile donc de savoir s'ils marquent une réelle volonté de quitter la France ou s'ils ne sont que le reflet de l'attrait naturel que peut avoir un parcours à l'étranger.
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A l'heure où l'on encourage les envies d'ailleurs et où la plupart des métropoles tentent à tout prix de renforcer leur attractivité, il semble vain de tenter de résister à la migration des populations. C'est en tout cas ce qu''explique Pierre-Henri Bono, chercheur au LIEPP de Sciences-Po :
"La France ne doit pas s’opposer à la tendance mondiale de la mobilité des très hauts potentiels. Elle devrait au contraire étudier le phénomène, le comprendre et proposer des solutions pour être un acteur majeur capable d’attirer sur son sol l’élite mondiale."
Et si, comme le voyage, la fuite des cerveaux formait la jeunesse ?
Crédit image : James Vaughan / Wisegie / Flickr.com / Licence CC BY-NC-SA 2.0)