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Angela Merkel

Allemagne : l’emploi à tout prix, miracle ou désastre ?

Quels dossiers attendent Angela Merkel après son « triomphe électoral » ? L’introduction d’un salaire minimum – ou « seuil de salaire » – négocié par accord de branche et dans chaque land, fera à coup sûr partie de l’agenda de la « nouvelle » chancelière. Une épine de moins dans un modèle allemand jusque-là peu épargné par la critique ?

Au coeur des débats : le  « Hartz-Konzept », ces quatre lois votées entre 2003 et 2005 qui constituent la grande réforme du marché du travail allemand, loin d’être communément admis comme un des moteurs de la performance allemande. C’est le cas de Guillaume Duval, auteur du Made in Germany. Le modèle allemand au-delà des mythes :

Le marché du travail allemand est devenu tellement  » dual « , avec une grande partie des salariés qui n’est couverte ni par un salaire minimum, ni par une convention collective, qu’ils s’inspirent de plus en plus de[s] méthodes [françaises] pour limiter les dégâts.

Miracle de l’emploi…

Peter Hartz, pour les 10 ans de « ses » lois, reconnaissait volontiers leurs limites : ses propositions concernant les minima sociaux, non retenues à l’époque, auraient pourtant permis « une société moins inégalitaire ». Mais il ajoute  que ces inégalités sont particulièrement« vrai[es] pour […] les chômeurs de longue durée »… que ses réformes ont justement contribué à réduire de moitié :

C’est là un premier fait, reconnu de tous : la baisse du chômage en Allemagne, passé de plus de 5 millions en 2005 à moins de 3 millions aujourd’hui, témoigne d’une véritable obsession pour l’emploi. En favorisant une « meilleure adéquation entre offre et demande de travail » et en accroissant l’incitation au travail, les lois Hartz ont eu « un impact significatif dans le sens d’une réduction du chômage structurel et d’un accroissement de la participation au marché du travail »(Trésor-Éco). Avec le développement de dispositifs de flexibilité interne (Kurzarbeit, chômage partiel, comptes épargne-temps) et une politique de modération salariale rendue possible par un dialogue social de qualité, les lois Hartz sont la principale cause de la résistance du marché allemand pendant la crise.

…et miracle social ?

Mais les réformes ont aussi engendré une hausse des inégalités et de la pauvreté relatives, écrit ce même rapport Trésor-Éco : c’est en effet surtout le cas pour les chômeurs (de 41% (2004) à 68% (2010) sous le seuil de pauvreté). Le Centre d’information et de recherche sur l’économie de l’Allemagne (Cirac), est bien plus nuancé dans sa conclusion :

« Le « démantèlement » de quelques acquis dont bénéficiaient quelques-uns seulement a permis au contraire de mieux pérenniser un État social qui profite à un plus grand nombre.« 

[encadre]En clair, les lois Hartz ont avant tout lutté contre l’exclusion, en tentant de maximiser la participation au marché du travail : en fluidifiant la « rotation chômage/emploi », le risque de se retrouver au chômage est plus élevé… tout comme celui de trouver un emploi. Les mesures d’insertion professionnelle et d’endiguement du chômage structurel ont servi l’objectif d’insérer – dans l’emploi et la société – les personnes les plus éloignées de l’emploi. Mais aussi, alors que le financement du modèle social allemand était en péril, de mieux cibler la solidarité collective, en la couplant à la responsabilité individuelle de postuler à des emplois dits « acceptables ».

Aussi, faut-il considérer ces « jobs à 1 € » et autres minijobs, cumulables avec un « minimum de subsistance », comme précarisant ? Ils forment un « dispositif innovant » qui a fait ses preuves, conclut l’Ifrap. Pour le Cirac, ces mesures remplissent leur objectif de « justice sociale » dans le sens où elles ont fortement accru le taux d’emploi et réduit le chômage structurel. C’est d’un point de vue qualitatif que la situation demeure problématique : une approche ciblée de la formation professionnelle et de hausse des qualifications permettrait de « à plus de personnes encore de trouver un emploi régulier, et donc mieux rémunéré ».

Entre les lignes du « désastre »

Gini Allemagne - France
Le coefficient de Gini calcule la dispersion des revenus (0 : égalité parfaite ; 1 : inégalité totale).

Alain Fabre, dans un rapport écrit pour l’Institut de l’entreprise, bat en brèche l’idée que le marché du travail allemand, berceau d’un « miracle de l’emploi », ferait ainsi le lit d’un « désastre social » :

Les réformes Hartz comme la modération salariale n’ont jamais conduit à l’abandon d’une politique de redistribution.

Allemagne - l'envers d'un modèleLes inégalités salariales ont surtout augmenté avant l’entrée en vigueur des lois Hartz (voir ci-dessus), pour se stabiliser après… quand dans le même temps, en France, elles augmentaient. Le segment des bas salaires, en effet accru avec ces réformes Hartz, s’approche des modèles plus extrêmes en la matière que sont le Royaume-Uni et les États-Unis. Avec un avenir encore incertain : la généralisation à venir du salaire minimum, déjà instauré dans une dizaine de branches professionnelles, permettra-t-elle d’endiguer le mouvement ? Pour l’heure, la redistribution compense l’accroissement des inégalités : « l’Allemagne fait partie de ces pays de l’OCDE où l’inégalité des revenus est très sensiblement lissée par les transferts sociaux ».

Il reste un vrai miracle allemand, au-delà du seul taux d’emploi : celui d’« avoir construit une stratégie de croissance compatible avec un haut niveau de protection sociale », conclut Alain Fabre. Le niveau de vie allemand est notamment supérieur à celui de la France. Dans ce débat, d’ailleurs, le « sujet n’est en réalité pas l’Allemagne, mais la France », interprète un journaliste du Spiegel… Alors, inspirant ?

> Image de « une » : m.p.3. (licence CC)
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