Publié le 7 octobre 2011
Une tribune publiée originellement dans Les Echos.

"Près de 24% des actifs de moins de 24 ans étaient au chômage en 2009, alors même que le pays empile les dispositifs d'aide à l'emploi. Précarité professionnelle, pauvreté, déclassement sont le lot quotidien d'une jeunesse à qui ni la société ni les entreprises ne font confiance. Comment les réconcilier ?

L'emploi des jeunes surréagit à l'activité
Triste record. Nourri par la récession, le taux de chômage des 16-24 ans a atteint 23,7% en 2009, un niveau jamais atteint par le passé. Et le redémarrage timide de la croissance l'an dernier n'a permis qu'une très légère décrue. Le fait que cette statistique ne concerne que les jeunes présents sur le marché du travail, soit un gros tiers de cette classe d'âge - les autres étant encore sur les bancs de l'école ou de l'université -, ne consolera pas les principaux concernés. Fin novembre 2010, Pôle emploi recensait 438 000 chômeurs de moins de 25 ans sans emploi et en recherchant activement un. Un quart d'entre eux était (déjà) chômeur de longue durée.Le phénomène est connu des économistes : l'emploi des jeunes surréagit à la conjoncture. Comme le montre la courbe de leur taux de chômage depuis le premier choc pétrolier (voir ci-dessous), leur sort sur le marché de l'emploi est étroitement corrélé à la bonne carburation de l'économie. Que le moteur de celle-ci tombe en panne sèche, comme ce fut le cas en 1993 ou en encore en 2009, et ils sont aux premières loges.

Quant au retour à meilleure fortune lorsque les carnets de commande se remplissent, il est réel mais reste très relatif. Quel que soit le niveau d'activité, le taux de chômage des jeunes est invariablement resté depuis trente-cinq ans plus de deux fois supérieur à celui de l'ensemble de la population. Même les périodes de forte croissance, comme 1998-2000, les « trois glorieuses » de l'emploi, avec près de 1 million de postes créés, n'ont pas permis de ramener ce taux en dessous de 15%.

Les 20-25 ans de 2010 imaginaient pourtant un destin différent. Les augures de l'emploi leur serinaient depuis des années que le départ à la retraite des baby-boomers provoquerait un appel d'air massif en leur faveur. Jusqu'à présent, celui-ci ne s'est pas fait sentir. Les DRH embauchent au compte-gouttes. Et au nom de la réduction des déficits, la fonction publique d'Etat a baissé drastiquement le nombre de postes ouverts aux concours. Pour faire son trou dans un marché du travail si peu accueillant, mieux vaut avoir un diplôme... et se montrer patient.

Les diplômés tardent à obtenir un emploi
Faire des études, la protection la plus efficace contre le chômage ? Certains des jeunes récemment diplômés doivent commencer à en douter. Selon l'Association pour faciliter l'insertion professionnelle des jeunes diplômés (Afij), seuls 55% de la promotion 2009 (de bac +2 à bac +8) avaient un poste en septembre 2010. L'Apec dresse un constat analogue pour les bac +4 et plus : 64% seulement de ces futurs cadres sont en emploi en avril 2010, huit mois après leur arrivée sur le marché. Une chute de 13 points en trois ans du fait de la dégradation de la conjoncture.Il n'y a toutefois pas lieu de désespérer, argumente Frédéric Wacheux, directeur du Centre d'études et de recherches sur les qualifications (Cereq) : « Les jeunes ayant suivi des études supérieures peuvent avoir des difficultés à court terme mais leur taux d'emploi à trois ans avoisine les 90%. Le diplôme reste la meilleure garantie d'obtenir un emploi. » Avec, il est vrai, de sérieuses nuances selon la filière. Seuls 4% des jeunes sortis d'une école d'ingénieurs ou de commerce en 2004 pointaient à l'ANPE en 2007, contre 10% des bac +4 universitaires. Le nombre d'années d'études compte également moins que l'adéquation au marché, le taux de chômage des titulaires d'un doctorat restant au bout de trois ans supérieur à celui des bac +2.

Les jeunes diplômés doivent donc prendre leur mal en patience, ils finiront par forcer la porte des entreprises. Mais ce démarrage poussif risque de les pénaliser durant des années. « Les premiers pas sur le marché du travail sont déterminants, confirme Christian Darantière, directeur délégué de l'Afij. Des débuts difficiles pèsent indéniablement sur les trajectoires. » Une analyse que valide une étude de l'OCDE publiée en décembre dernier (1) : « Une proportion importante et croissante de jeunes, y compris ceux qui auraient eu des bons résultats dans un contexte favorable, est exposée au risque de chômage prolongé, ce qui pourrait avoir des conséquences stigmatisantes pour leur carrière. » Le temps passé sans emploi tire le salaire d'embauche à la baisse et ce handicap originel se révèle compliqué à rattraper. Selon l'OCDE, il est encore perceptible dans certains pays - dont la France - après quinze ans de vie active.

A cela s'ajoute le risque que le CDI finalement décroché ne soit pas conforme aux ambitions initiales. Faute de mieux, de nombreux jeunes sont amenés à accepter un poste sous-qualifié. Selon l'Apec, un tiers des bac +4 et plus du cru 2009 ayant réussi à trouver un emploi estime que celui-ci est en dessous de leur qualification. L'enjeu est alors de ne pas s'enliser dans ces situations d'attente. « Les bac +5 devant accepter des postes de niveau bac +3, que ce soit dans le secteur privé ou l'administration, ne sont pas rares en période de crise, acquiesce Christian Darantière. Mais ils ont l'opportunité à terme de se rétablir. D'autres jeunes diplômés sont contraints d'accepter pour subsister des jobs niveau bac, comme hôte de caisse dans la grande distribution, par exemple. Ceux-là doivent être très vigilants à ce que cette situation ne perdure pas au-delà d'un an, faute de quoi ils auront du mal à convaincre une entreprise de leur faire confiance sur leur qualification initiale. » Pour éviter que le provisoire ne devienne durable, la prochaine amélioration de la conjoncture devra être mise à profit sans faute.

Les non-qualifiés ont des difficultés durables
Malgré ces soucis, les quelque 40% de jeunes qui arrivent chaque année sur le marché avec en poche un diplôme de l'enseignement supérieur ne sont pas les plus à plaindre. Leurs CV restent sur le dessus de la pile. Ce n'est pas le cas de ceux qui ont décroché avant le bac, qui demeurent, quelle que soit la conjoncture, aux dernières places de la file d'attente menant à l'emploi. « Environ 125 000 jeunes, soit 17% d'une classe d'âge, sortent chaque année du système scolaire sans qualification, souligne Frédéric Wacheux. Le coeur du problème est là. » Alors que leurs camarades finissent à la longue par faire leur trou, eux signent un abonnement longue durée à Pôle emploi. « Cinq ans après leurs débuts sur le marché du travail, les non-qualifiés de la génération 2004 sont encore 30,5% à être sans emploi, détaille Emmanuel Sulzer, chercheur au Cereq. C'est la seule catégorie qui voit son taux de chômage augmenter, alors qu'il est pour tous les autres orienté à la baisse. »

Certains de ces jeunes cumulent les handicaps. Outre leur absence de qualification, ils doivent endurer les discriminations à l'embauche sur leurs origines ou celles de leurs parents, sur le fait d'habiter dans un quartier difficile... Dans les 751 quartiers labellisés Zones urbaines sensibles par le gouvernement, 43% des actifs et 37% des actives de moins de 25 ans étaient sans emploi en 2009.

Ces laissés-pour-compte ne sont pas spécifiques à la France. Mais la situation, déjà très préoccupante, devrait encore empirer : selon les dernières statistiques de l'OCDE en matière d'enseignement, la proportion d'élèves les moins performants dans notre pays est passée de 15 à 20% entre 2000 et 2009, et celle des élèves en grande difficulté de 4,2 à 7,9%. Ces adolescents qui décrochent sont les chômeurs de demain.
Des projets personnels repoussés faute de CDI
Obtenir un emploi au sortir de sa scolarité n'a déjà rien d'évident, mais décrocher un emploi stable... Seuls 30% des jeunes signent un CDI pour leur première embauche. Les autres doivent jongler entre CDD, stages pas forcément rémunérés, intérim et période de chômage en attendant mieux, concentrant sur eux l'essentiel de la flexibilité du marché du travail. Cette période de « bizutage social », comme la qualifie François Chérèque (2), n'a cessé de s'allonger depuis vingt ans : selon le Livre vert sur la jeunesse de 2009, il faut désormais en moyenne cinq années pour passer du premier emploi au premier CDI, ce qui d'après le sociologue Camille Peugny correspond à un âge moyen de 28 ans ! Une précarité qui explique pourquoi un cinquième des 16-25 ans vit sous le seuil de pauvreté, contre 13% pour l'ensemble de la population.

Difficile de se projeter dans l'avenir quand on enchaîne les contrats précaires. Et encore plus compliqué de louer un appartement ou décrocher un prêt à un taux qui ne soit pas prohibitif. Ce qui retarde d'autant l'âge du premier chez-soi, l'installation en couple... Faute de CDI, les jeunes sont priés de mettre leurs projets personnels en sommeil.

Suspicion généralisée vis-à-vis des jeunes
Face aux tourments endurés par ses cadets, que fait la société française ? Pas grand-chose, hélas. "Les jeunes les plus vulnérables sont aussi fréquemment les oubliés des politiques publiques", constatait en 2009 le Livre vert coordonné par Martin Hirsch. Les institutions publiques ayant compétence pour agir ne manquent pourtant pas : l'Etat, bien sûr, mais aussi les départements, les villes, les partenaires sociaux... Seulement, "chacun a la possibilité de s'exonérer d'une partie de ses responsabilités sur les autres : pour chaque institution prise isolément, il est plus coûteux de s'occuper des jeunes... que de ne pas s'en occuper", pointait le Livre vert.

A cette inaction s'ajoutent des mesures discriminantes. "La France est le seul grand pays européen avec l'Espagne qui n'accorde pas le bénéfice des minima sociaux à ses jeunes, relève l'économiste Pierre Cahuc. Cela vient s'ajouter à leurs difficultés d'insertion sur le marché du travail. C'est la double peine." Le gouvernement a certes accepté, après moults débats, d'ouvrir le bénéfice du RSA aux jeunes en septembre 2010.Mais à des conditions ultrarestrictives : il faut avoir travaillédeux ans dans les trois dernières années. Conséquence : seuls 5 024 bénéficiaires du RSA jeunes étaient recensés fin 2010.

"Ces restrictions sont un signe de suspicion de la société française vis-à-vis des jeunes", poursuit Pierre Cahuc. Mezza voce, ils sont suspectés de refuser les contraintes du travail. Le cliché n'est pas nouveau : en 1976, Raymond Barre expliquait la montée du chômage par notamment "la fuite des jeunes devant les emplois manuels" (3). Et ce procès reste d'actualité. Seuls 5% des patrons de PME pensent que les jeunes sont plus motivés que les générations précédentes.

Une génération qui a le goût d'entreprendre
La génération montante, heureusement, n'attend pas son salut des pouvoirs publics. Et fait preuve d'un optimisme surprenant. D'après l'enquête sur la jeunesse mondiale, récemment dévoilée par la Fondation pour l'innovation politique, 49% des jeunes Français se disent "certains d'avoir un bon travail dans l'avenir." Ils n'étaient que 27% à le penser il y a quatre ans. Sans illusion sur les moeurs de l'Etat-employeur ou sur celles des multinationales, la jeunesse d'aujourd'hui se revendique entreprenante. Selon un récent sondage Opinion Way pour KPMG (voir ci-dessous), plus d'un tiers des étudiants et des jeunes actifs rêve de se mettre à son compte. En janvier 2010, une étude de l'Agence pour la création d'entreprises (APCE) indiquait de la même manière que 47% des jeunes de moins de 30 ans envisageaient de créer un jour une entreprise. Et 13%, soit 1,2 million de jeunes, déclaraient vouloir passer à l'acte dans les deux années à venir. Le sondage Ifop de mars 2005, stipulant que les trois quarts des 15-30 ans ambitionnaient de devenir fonctionnaires, semble d'une autre époque.

La motivation de ces néo-entrepreneurs ? Le souhait d'être autonome qui semble être une caractéristique profonde des moins de 30 ans, au même titre que leur maîtrise des technologies de l'information. Des atouts dont les entreprises auraient bien besoin. Mais à trop languir aux portes de ces dernières, les jeunes se sont imaginés des destins qui ne passent plus par les cadors du CAC 40. Ceux-ci pourraient finir par le regretter."

(1) « Des débuts qui comptent ! Des emplois pour les jeunes », OCDE, 2010.
(2) L'Express du 24 novembre 2010.
(3) Discours de politique générale du 6 octobre 1976.