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La contre-attaque de l’emploi : les économies locales face à la crise qui vient

Le chômage est en hausse ininterrompue depuis plus d’un an et demi, la situation devrait encore empirer pendant au moins les six premiers mois de la nouvelle année. Mais d’après l’économiste Laurent Davezies, le plus dur pourrait être à venir : la France serait sur le point d’imploser car « avec la crise des finances publiques et sociales, ce qui hier avait porté et protégé les territoires les menace aujourd’hui ». La crise qui vient, titre de son dernier livre-choc, c’est celle de « la nouvelle fracture territoriale ».

Mais Laurent Davezies ne se contente par de jouer les oiseaux de mauvais augure. Parce qu’une crise est également une opportunité pour rebondir, il nous invite aussi – et surtout ? – à regarder en face les atouts de nos territoires et à les faire fructifier. Concentration des forces, « contre-attaque productive » et mobilité : sortie de crise, mode d’emploi.

 

« Les économies locales en bonne santé conditionnent la croissance nationale ». Laurent Davezies invite les Français, volontiers centralisateurs et portés sur les analyses « macro », à faire leur révolution culturelle : ce n’est pas l’économie du pays qui tracte les territoires, c’est l’inverse. Sur le front de l’emploi, c’est la même chose : il n’y a pas une mais des France du chômage et, selon que vous vivez ici ou là, vous serez puissant ou misérable.

les régions les + dynamiques sur le front de l'emploi entre 2009 et 2011

Exemple typique d’un territoire menacé, l’Aquitaine : la région qui a créé le plus d’emplois en France entre 2009 et 2011 serait en fait un colosse aux pieds d’argile en raison de la fragilité de son économie « résidentielle », peu productive, très dépendante des revenus extérieurs et des transferts. La voisine Poitou-Charentes aussi serait menacée.

Dans le Sud-Est, d’autres économies « résidentielles » sont encore dynamiques mais en danger car trop peu productives : Nice et Toulon par exemple, mais aussi la région Languedoc-Roussillon. Elles sous-utilisent les possibilités du tourisme et, selon Davezies, doivent se réinvestir l’enjeu productif – comme ont su le faire Bayonne ou Bordeaux.

D’après Laurent Davezies, « la seule sortie, par le haut, consiste à mettre au point de nouveaux moteurs », car certaines sources de revenus vont inéluctablement disparaître avec la crise de la dette. Pour réussir à rebondir, la France doit s’appuyer sur les « gisements de croissance [qui] ne demandent qu’à être exploités ». L’économiste distingue trois forces sur lesquelles la France devrait capitaliser : production industrielle, concentration des forces et mobilité.

Les territoires contre-attaquent (par la production)

Face à ces France chancelantes, l’avenir s’annonce radieux dans les territoires industriellement les plus productifs. Les grandes métropoles (Paris, Lille, Toulouse, Nantes, Rennes, Grenoble), mais aussi de plus petites villes très industrielles (Cholet, Colmar, Vitré) et quelques zones  touristiques productives (Briançon) indiquent la voie à suivre. En 25 ans, si ces territoires ont perdu 31% de leurs emplois industriels, ils se sont efficacement reconvertis et ont peu souffert de la crise.

L'avenir de l'emploi

Comment ? Services, informatique et industrie dynamique (aéronautique, pharmacie, ferroviaire, agroalimentaire) sont leurs atouts. Car entendons nous bien : si le déclin de l’emploi industriel est une tendance forte de notre économie, qui repose de plus en plus sur les services, les services ne sont pas l’ennemi de l’industrie. Au contraire même, ils l’irriguent, les services aux entreprises industrielles foisonnent. Cette apparente « désindustrialisation » pourrait, selon certains spécialistes, n’être bientôt plus qu’un lointain souvenir.

Toutefois, la reconstruction des appareils productifs n’est pas toujours possible, les réindustrialisations réussies (Toyota à Valenciennes) et les reconversions audacieuses (comme le projet concernant les salariés de PSA Rennes vers l’énergie éolienne) sont plutôt rares. Laurent Davezies préconise ce capitaliser sur nos atouts pour relancer la production.

La croissance vient de l’intérieur : concentrons nos forces

Les pôles de compétitivité en France

Précisément, c’est la concentration des forces fait la vigueur des économies locales dynamiques. Autrefois tirée par les territoires périphériques, la croissance se jouerait désormais dans les « centres ».

Métropoles, clusters, pôles de compétitivité : c’est dans les territoires qui se sont organisés en  réseau que se développe le mieux l’innovation, donc la croissance et l’emploi, et une gestion efficace des cycles économiques, en amont – via un dialogue social décentralisé notamment. Davezies préconise la création de « zones de regroupement », qui ouvriraient de grandes « perspectives de relance ».

Pour vivre heureux, vivons mobiles

« Quand vous naissez dans le Tennessee et que vous voulez travailler dans l’aéronautique, vous partez à Seattle. […] Quand vous naissez dans le sud de l’Italie et que vous voulez travailler dans l’aéronautique, vous n’allez pas à Toulouse. » L’Europe manque d’une culture de la mobilité, la France n’échappe pas à la règle. Jean-Christophe Sciberras, DRH France du groupe Rhodia et président de l’Association nationale des directeurs des ressources humaines (ANDRH) constate en effet que « les salariés éprouvent des difficultés à être naturellement mobiles d’un point de vue professionnel ». La lutte contre les freins à la mobilité est donc une des priorités pour sortir de la crise. Pour Laurent Davezies, il faut savoir et pouvoir quitter – même temporairement – un territoire en difficulté.

Tennessee - Seattle

De 2001 à 2006, 11% des familles de cadres ont changé de département de résidence. Les familles d’ouvriers ne sont que 4% dans ce cas. Si le « haut de l’échelle » voit la mobilité comme une opportunité pour « faire son marché sur les territoires », les plus vulnérables sur le front de l’emploi sont, eux, « piégés dans les territoires ». Selon Davezies, ils ont rarement les moyens de « saisir des opportunités » où bon leur semble. Au-delà des attaches sentimentales, ce seraient surtout les barrières à l’entrée (règlementations rigides, salaires pas assez attractifs) qui les en empêchent.

Résultat : « en France, on ne quitte pas les zones sinistrées pour les territoires dynamiques ». Soutenir la mobilité dans des territoires au potentiel certain mais délaissés, c’est aussi faire rejoindre offre et demande sur le marché de l’emploi. C’est l’une des recettes de la réussite du bassin d’emploi de Vitré, où le chômage n’existe quasiment pas.

Les Français sont peut-être en train de bouger sur ce plan aussi : depuis le début des années 2000, les « réfugiés économiques » du Nord-Est, les populations les plus frappées par la désindustrialisation, optent pour des villes au fort « potentiel de redéveloppement », dont ils sont les nouvelles ressources. Ainsi de villes comme Nancy, Reims, Besançon et surtout Lille, qui perd de la population à l’échelle nationale mais qui, attractive (+2% d’emplois en 2008-2009) et abordable, en gagne vis-à-vis des territoires voisins. Il faut développer cette mobilité.

Mobilité : des Français trop attachés à leur pays pour s'expatrier ?

« L’avenir est gros de défis ou de menaces – selon le point de vue qu’on adopte », conclut Davezies. En chinois, un seul et même idéogramme signifie « crise » et « opportunité ». Plus qu’une curiosité linguistique, c’est un état d’esprit à adopter, une occasion que doivent saisir les territoires. Et une chance pour la France de relancer l’emploi : dans le désordre global, les solutions sont locales. C’est à cette échelle qu’il faut agir, dès aujourd’hui et pour demain.

> Suite et fin de notre série sur La crise qui vient: « L’économie sociale et solidaire, ou la proximité contre la crise qui vient ».

 

>>> En savoir plus :

 

> Image de Une issue du flickrstream de Allan Crutchley, sous licence CC

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