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Etats-Unis : les chauffeurs d’Uber pourraient désormais être considérés comme… ses propres employés

EUREKA. Intérimaires et sous-traitants pourraient, sous certaines conditions, être considérés comme des employés à part entière, selon une décision du National Labor Relations Board le 31 août. Un choc retentissant pour de nombreuses entreprises américaines.

Le National Labor Relations Board (NLRB), bureau chargé d'enquêter sur les pratiques illégales dans le monde du travail aux États-Unis a rendu sa décision le 31 août 2015 : une entreprise employant un intérimaire ou un sous-traitant pourra maintenant être considérée comme son employeur, même dans le cas où il ne serait pas sous l'entière supervision de cette entreprise.

Un vrai coup de tonnerre dans un pays où, en 2014, 2% de la population active travaillait comme intérimaire, soit près de 3 millions d'Américains.

Une décision qui bouscule les relations entre l'entreprise et sa main d’œuvre flexible

Alors qu'ils n'étaient que 1,1 million en 1990, les salariés temporaires ont vu leur nombre continuellement augmenter. En effet, pour conserver la flexibilité de leurs effectifs, de nombreuses entreprises américaines ont de plus en plus eu recours à des intérimaires et à des sous-traitants, une évolution particulièrement sensible après une forte baisse pendant la crise en 2009 :

1149095_decision-choc-en-faveur-des-salaries-precaires-aux-etats-unis-web-tete-021290438759La décision du bureau fédéral a été rendue sur le cas précis d'une entreprise du secteur du recyclage, Bronwing-Ferris, qui employait une quantité (trop) importante de sous-traitants.

Loin d'être une simple entreprise utilisatrice, celle-ci a été qualifiée de "co-employeur" car elle "les embauchait, les licenciait, fixait leurs salaires et leurs temps de travail". Auparavant, dans la doctrine qui prévalait depuis l'ère Reagan, l'entreprise était considérée comme l'employeur d'un salarié si elle le supervisait complètement, et exerçant sur lui un "contrôle direct et immédiat".

Une entreprise et une agence d'emplois pourront désormais être considérées comme "co-employeur"

Avant de rendre sa décision, le bureau a exprimé son inquiétude quant à l'actuel modèle de gestion de la force de travail dans l'économie contemporaine et a pointé l'utilisation abusive par l'entreprise d'une main d’œuvre dont elle n'est pas l'employeur. De plus, elle a déploré une baisse importante de l'adhésion aux syndicats américains.

EntrepriseNumeriquePilote2Pour le bureau fédéral, les entreprise et les agences d'emplois pourront être considérés comme des "co-employeurs" (l'employé de l'agence d'emploi devenant donc aussi employé de l'entreprise) même si l'entreprise n'exerce qu'un contrôle léger sur les processus normalement gérés par l'employeur – recrutement, renvoi, discipline, horaire etc. Dans le cas de Browning-Ferris, l'entreprise n'intervenait, en effet, que de façon très distante sur le recrutement de l'agence d'emploi : elle souhaitait avoir de la main d’œuvre pour maintenir sa production, que cette main d’œuvre respecte les règles de sécurité et ne consomme pas de stupéfiants.

Lire aussi : CDI intérimaire : un pas de plus vers la flexisécurité pour les entreprises et les intérimaires

La décision de la NLRB n'a pas été sans déclencher quantité de protestations :  "Cette décision pourrait bien être la plus significative depuis trente-cinq ans", selon Marshall Babson, avocat de l’American Chamber of Commerce, qui ajoute que cette décision pourrait engendrer des conflits sociaux sans fin. Pour Beth Milito, conseillère juridique pour la Fédération des PME :  "Si la décision est maintenue, l’intérêt à avoir recours à des sous-traitants devient proche de zéro."

Les implication de la décision sont jugées "irréalistes" et "impossibles à mettre en œuvre" par ses opposants, qui s'interrogent : qui négocie alors avec les employés ? Que se passe-t-il si les deux employeurs entrent en désaccord ? Que se passe-t-il lorsque l'agence d'emplois a de nouveaux clients, notamment des concurrents ? Fédérations de franchisés et organisations patronales sont, pour l'heure, vent debout contre la NLRB.

Des conséquences importantes pour les entreprises américaines

5421879215_a64533abfe_zUn séisme ? L'impact sur de nombreuses entreprises américaines ne peut être minimisé, y compris dans le cadre de nouvelles formes d'emploi et de travail à la demande. La décision de la NLRB aura un impact important sur la structure des entreprises de fast-food américain, dans le BTP et autres industries qui reposent tout particulièrement sur la sous-traitance.

Les chauffeurs Uber pourraient eux aussi être considérés comme des employés de la plateforme. Une première décision a été rendue dans ce sens, en juin. Barbara Berwick, chauffeur Uber, avait saisi la justice californienne pour que la plateforme de VTC lui rembourse ses dépenses d'assurance et de péage. Le 17 juin, elle a obtenu gain de cause : le tribunal de Californie a statué qu'Uber traitait ses chauffeurs comme des salariés. Or, tout le système Uber repose sur cette nuance entre salarié et indépendant. L'entreprise prétend que son application ne fait que mettre en relation l'offre et la demande et qu'il ne s'agit donc pas d'un contrat de travail et Uber ne fait que prélever une commission de 20% sur les courses, ce qui lui permet d'économiser le paiement des cotisations sociales et autres dépenses habituellement à la charge d'un employeur.

Cependant, le contrôle qu'Uber exerce sur ses "indépendants" dépasse largement celui exercé par Browning-Ferris sur ses sous-traitants. Dans son règlement, Uber stipule que chaque chauffeur est noté sur 5, et qu'une note inférieure à 4,5/5 "pose problème" – ce qui signifie qu'un chauffeur peut tout simplement se voir banni de l'application. Interrogée par les Inrocks, Evelyne Serverin, juriste et sociologue, chercheure au centre d'étude de l'emploi, souligne que couper l'application "peut être considéré comme un pouvoir de sanction […] et lorsqu'un travailleur est dépendant d'un unique donneur d'ordre, il peut déposer une demande aux prud'hommes pour une requalification en contrat de travail".

A lire aussi : “La grande révolution du travail aura lieu hors du salariat”  Entretien avec Denis Pennel

Une affaire à suivre donc pour déterminer jusqu'où iront les implications de la décision de la NLRB alors que "les frontières entre travail indépendant et travail salarié sont devenues poreuses et confuses", nous expliquait en juillet Denis Pennel, directeur général de la CIETT. "C’est tout le monde du travail qui se complexifie, qui se diversifie… Voilà la révolution du marché du travail aujourd’hui !"

Crédit image : Pkg203 Wikimedia

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